
Pourquoi les vignerons des Cévennes font-ils tant parler d'eux ?

Les Cévennes, vous connaissez ? Ce coin de Sud sauvage où la vigne s’accroche aux pentes, entourée de châtaigniers et de murets de pierres sèches. Un terroir que j’arpente depuis plusieurs années dans mon métier de journaliste du vin, et où j’ai vu éclore une évolution sincère et vertueuse.
Ici, les vignerons ne cherchent pas à briller par effet de mode : ils avancent avec humilité, portés par la nature, une liberté de ton rare et l’envie profonde de transmettre. Chaque rencontre, chaque verre dégusté dans ces vallées escarpées donne la sensation d’un souffle nouveau. Et si le vrai refuge de la liberté du vin se trouvait ici ?
Je ne m’y attendais pas… Après des années à courir et couvrir conférences de presse et dégustations de syndicats, j’avais l’impression d’avoir tout entendu. Et pourtant, ce 18 avril 2025, au cœur des Cévennes, j’ai vécu sans doute l’une des rencontres les plus passionnantes de mon métier. L’IGP Cévennes y présentait son extension vers la Lozère et l’Ardèche, mais surtout son Observatoire des cépages patrimoniaux. Et là, impossible de rester indifférent : sur la table, des cuvées uniques issues de cépages oubliés, cépages résistants, parfois même cépages maudits – Clinton, Noah, Baco Noir, Négret de la Canourgue… Un parfum d’histoire et d’avenir entremêlés, qui donnait le sentiment de participer à un moment rare.

Un vignoble en mouvement : la Lozère et l’Ardèche rejoignent l’aventure
Historiquement, les Cévennes s’étendaient bien au-delà du piémont gardois : jusqu’à la Vallée de la Ligne en Ardèche, le Mont Lozère et le Gévaudan. L’extension récente de l’IGP, validée par l’INAO, recompose ce puzzle : 40 communes lozériennes et 29 ardéchoises rejoignent l’aire de production et de vinification. C’est une manière de reconnecter le vignoble à son histoire, mais aussi de l’ouvrir vers demain, explique Christel Guiraud, président de l’IGP. La limite entre le Gard et l’Ardèche n’a jamais été culturelle. Les Cévennes sont une continuité, un état d’esprit.
Dans ces nouvelles zones, les vignes reprennent racine après des décennies d’abandon.

À Molézon ou Ispagnac, de jeunes projets voient le jour, portés par des agriculteurs qui diversifient leurs cultures. La Lozère, où l’on évoquait jadis les hybrides Clinton ou Jacquez, retrouve un avenir viticole, avec des terroirs de schistes et d’alluvions promis aux vins de caractère.
Ici, l’authenticité n’est pas un slogan : elle est imposée par le paysage
, résume Sylvain Gachet du domaine de Gabalie à Ispagnac. Originaire de Savoie, il n’héritait pas du geste viticole cévenol, mais il l’a appris en travaillant les coteaux argilo-calcaires, les terrasses schisteuses, en vinifiant Pinot Noir, Syrah, Marselan ou Chardonnay. Sur ses 6 hectares escarpés, dont beaucoup de travail manuel, il incarne ce moment de reconstruction viticole : offrir un avenir à une vigne que la nature appelait de ses bancels. Gabalie est aujourd’hui un jalon essentiel dans la résurgence paysanne du vin en Lozère, un projet qui dit beaucoup de ce que veulent devenir les Cévennes : libre, authentique, enraciné mais inventif.
Cépages oubliés, cépages d’avenir !
Difficile de tricher dans ces paysages : la vigne pousse souvent sur des bancels escarpés, où chaque mur de pierres sèches raconte des siècles de labeur. Ici, la viticulture est une affaire de patience et de convictions. J’ai choisi de travailler en bio dès le départ, raconte David Flayol, installé au Clos de la Rouvière à Molezon. La pente est rude, mais c’est justement ce qui donne la force et la sincérité aux vins. Chaque cep accroché à la terrasse devient une victoire.
L’IGP Cévennes se distingue par une forte proportion de domaines engagés dans le bio ou la biodynamie. Beaucoup privilégient des vinifications peu interventionnistes, en cuve béton, jarres ou barriques anciennes. Résultat : des vins francs, droits, parfois atypiques mais toujours habités.

Si les Cévennes font parler d’elles, c’est aussi grâce à leur audace sur les cépages. Depuis 2022, un Observatoire des cépages patrimoniaux expérimente des variétés oubliées, résistantes ou même interdites, dans le cadre d’un projet intitulé Treilles et Terrasses : des vignes en rupture. Notre rôle est de préserver la mémoire végétale et d’anticiper le futur, souligne Jérôme Villaret, coordinateur du projet. Nous travaillons sur le Négret de la Canourgue, sur le Baco Noir, mais aussi sur des interdits comme le Clinton ou le Noah. C’est une manière de questionner la réglementation et d’ouvrir le débat.
Des micro-vinifications menées avec l’ICV ont ainsi permis de redécouvrir le potentiel de ces raisins bannis en 1935. Au-delà de la provocation, c’est une démarche de recherche et d’adaptation climatique. Dans certaines zones lozériennes, où le châtaignier recule sous l’effet des canicules, la vigne retrouve paradoxalement sa place.
Un vignoble des Cévennes qui séduit par sa liberté et sa diversité
Impossible de parler des Cévennes sans citer Jérôme Pépin, installé au domaine Quartier Lander. Sur 17 hectares cultivés en bio, il cultive pas moins de 16 cépages, un véritable conservatoire vivant. Aux côtés de variétés patrimoniales comme le terret bourret ou le rivairenc, il s’autorise des incursions méditerranéennes avec du nielluccio corse, du touriga nacional portugais ou même du xinomavro grec.
Et ce n’est pas tout : Jérôme Pépin expérimente aussi des hybrides comme le G9, le chambourcin ou le sauvignac, convaincu que ces croisements pourraient bien représenter une réponse crédible aux défis climatiques. J’aime cette idée que chaque parcelle raconte une histoire différente, explique-t-il. La diversité, c’est une manière de se protéger, mais aussi d’ouvrir le goût à des horizons insoupçonnés.

Si les Cévennes séduisent, c’est qu’elles échappent aux cadres figés. Ici, pas de modèle unique : chaque vigneron forge son propre chemin. Certains plantent du viognier et du marselan, d’autres expérimentent le sauvignon en altitude, d’autres encore redonnent vie au grenache noir ou au cinsault sur les terrasses. Ici, chacun trace son propre chemin, rappelle Christian Vigne, président de l’IGP pendant 14 ans. C’est une appellation de liberté : certains travaillent avec des cépages classiques, d’autres expérimentent avec de nouvelles variétés, mais tous cherchent à rester fidèles à ce paysage.
Cette diversité se retrouve dans les vins : blancs frais aux accents de fleurs sauvages, rouges sincères aux tanins vifs, rosés gourmands taillés pour la convivialité. Des cuvées qui reflètent le paysage : contrastées, ouvertes, insoumises.
Instinct, transmission et bien commun
Au Mas Seren, sur les hauteurs de Tornac, Emmanuelle Schoch revendique une approche à la fois sensible et instinctive. Guidée par son ressenti plus que par des recettes toutes faites, elle avance au rythme de la vigne et du vivant. Ce que j’aime, c’est accompagner le vin sans le contraindre
, confie-t-elle. Dans sa cave, pas de recherche d’effets spectaculaires, mais une quête de justesse et de fraîcheur, souvent à partir de cépages résistants et de vinifications délicates. Ses vins expriment une énergie singulière, à la fois libre et précise. Les Cévennes sont pour moi un terrain d’expérimentation rare, poursuit-elle, mais aussi un lieu où l’on apprend l’humilité face à la nature.

Dans ce vignoble de résistance, l’idée de transmission est partout. Les familles qui maintiennent coûte que coûte leurs terrasses, les jeunes qui reviennent après des études à Montpellier ou à Dijon, les néo-vignerons qui changent de vie pour s’installer en Cévennes… Tous partagent une même conviction : le vin est plus qu’un produit, c’est un héritage. Ces cépages, mon grand-père les avait arrachés, se souvient Jean-Christophe Dumas, du Domaine de la Vaillère. Aujourd’hui, je les replante. Ce qui hier était perçu comme un handicap devient une chance pour demain.
La transmission est aussi collective : restaurer les murs en pierre sèche, partager des savoir-faire, relancer des cépages oubliés. C’est un travail qui dépasse l’individu pour devenir un bien commun.
Des défis pour ce vignoble, mais une promesse
Les Cévennes ne sont pas un vignoble facile. Le climat y est rude, les orages violents, les pentes exigeantes. Mais c’est justement dans cette difficulté que se forge une identité rare. L’extension à la Lozère et à l’Ardèche ouvre de nouveaux horizons économiques et humains, l’observatoire des cépages trace une voie innovante, et l’œnotourisme pourrait devenir un relais de visibilité. On n’est pas encore très connus, reconnaît Jean-Christophe Dumas. Mais c’est presque une force : on ne nous attend pas, alors on a la liberté d’inventer. On n’est pas enfermés dans une image figée, et ça, c’est précieux pour avancer.
Un récit de liberté, de nature et de transmission, où chaque verre de vin raconte un paysage, une histoire, une résistance.

Les Cévennes ne se laissent pas dompter facilement. Mais à qui prend le temps de les parcourir, elles offrent une leçon : le vin peut être autre chose qu’un produit formaté. Il peut être le reflet d’un territoire ouvert, fragile et fort à la fois, une promesse de sincérité. Alors, la liberté du vin a-t-elle trouvé son refuge ? Peut-être bien, dans les bancels cévenols, là où les vignerons et vigneronnes réinventent chaque jour un art de vivre.
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