
Rencontre avec Xavier Thuziat, un chef sommelier passionné

Des souvenirs d’enfance en Bourgogne aux palaces parisiens en passant par les chais et vignobles de France et d’ailleurs, Xavier Thuizat, chef sommelier du Crillon, est un passionné de vin mais aussi féru de saké. Son métier ? Prescripteur de plaisir et passeur d’histoires.
Meilleur Sommelier de France et Meilleur Ouvrier de France en 2022, Grand Prix de la Sommellerie du Guide Michelin 2024, Xavier Thuizat, Chef Sommelier du Crillon, cumule les superlatifs. Et cultive, avec charisme et conviction, la passion du partage et du plaisir du vin. Au Crillon, mais aussi dans sa cave à vins et dans son nouveau bar à vins, Grappille, à Paris toujours, ou encore en tant que Chef Sommelier pour Air France depuis 2024. Il a auparavant œuvré au Relais Bernard Loiseau, au Meurice, chez Pierre Gagnaire et au Peninsula.

Alexandra Foissac : Comment êtes-vous tombé
dans le vin ?
Xavier Thuizat : J’ai passé mon enfance et mon adolescence dans les vignobles, mes parents habitant Pommard puis Meursault… Mon grand-père avait vendu la vigne familiale après guerre mais tous nos voisins étaient vignerons. Quand on prenait le bus en septembre ou octobre, les odeurs de fermentation flottaient. J’étais fasciné par ce miracle de la fermentation qui transforme le raisin en vin. J’aurais pu être vigneron ou œnologue mais j’aimais déjà les beaux restaurants. Puis, à 17 ans, j’ai vu une émission de télévision sur Enrico Bernardo, sacré meilleur sommelier du monde, cela a été une révélation : je voulais faire ça !
AF : Quelle est la mission d’un sommelier, et son rôle entre vignerons, chefs et consommateurs, entre terroir et luxe ?
XT : On est là pour donner du plaisir et transmettre une histoire, un savoir-faire. Les sommeliers ont trop longtemps complexifié le vin. Les consommateurs boivent une histoire, ils ne boivent pas un coteau argilo-calcaire exposé à l’est… Mon objectif est clair : donner envie aux gens de goûter. Le travail du vigneron se termine quand il met le bouchon, le notre commence quand on ouvre la bouteille mais nous pouvons tuer son travail si, par exemple, le vin n’est pas servi à la bonne température. Nous sommes des metteurs en scène, des ambassadeurs du génie de l’homme à dompter cette liane et à produire un vin qui délivre le message d’un lieu. Nous sommes le dernier maillon avant que la bouteille ne disparaisse. Un trait d’union entre les mondes agroviticole et de la haute gastronomie où j’observe un retour aux fondamentaux avec une vraie curiosité des clients.
AF : Quelles sont vos relations avec les vignerons, les domaines ?
XT : J’ai pour passion de dénicher des nouveautés dans les vignobles. Je demande aux grands noms d’une appellation quels sont les jeunes qui travaillent bien et je vais ensuite les rencontrer, pour apprendre des nouvelles choses, discuter de points techniques qui m’échappent. La nouvelle génération est très ouverte mais aussi très pointue, très technicienne. J’aime aussi les belles histoires de transmission réussie (lire notre article Château de Rouillac : une reconversion réussie en famille dans les vignes de Pessac-Léognan).
AF : Quelles tendances de consommation observez-vous et comment les analysez-vous ?
XT : En 2024, 17% de nos clients n’ont pas pris de vin. Cela monte à 40% à midi. Par contre, dans un contexte gastronomique, le vin reste incontournable pour célébrer un évènement important et la “grande étiquette” toujours efficace pour une signature de contrat… Au Crillon, il n’y avait pas de proposition sans alcool il y a 5 ans. Il y a 3 ans, la proposition - cafés rares, thés concentrés en tanins – était en place mais nous en vendions peu. Aujourd’hui, cette expérience est prête à être servie - le café est déjà moulu, le thé déjà pesé - car on est certain d’en vendre.
Autre fait majeur : les jeunes ne boivent plus de vin et n’ont plus de culture du vin. Certains sont très axés sur la santé et le bien-être mais paradoxalement, alors que la consommation de vin diminue, celle des alcools forts, bières, cocktails progresse. Et d’autres considèrent le vin comme une boisson ringarde...
AF : Comment répondre à ce défi de la déconsommation ?
XT : L’enjeu de demain est de reconquérir le marché des jeunes. Récemment au Nonos (un des restaurants du Crillon, NDLR), un jeune couple prend un cocktail sur l’entrée. Avec leur plat de bœuf, je propose un verre de vin rouge, refusé car le vin, c’est la boisson de papa
. Je les invite à goûter un vin qui sent la fraise et la framboise, élaboré par une vigneronne de moins de 30 ans. S’identifier à quelqu’un de leur âge et découvrir quelque chose de différent les a convaincu ! C’est là où le rôle du sommelier est très important, il faut rendre le vin accessible, ludique.
Autre tendance forte : l’envie de vins plus digestes, plus purs, avec une acidité haute et une faible teneur en alcool et en tanins, des vins d’infusion où on garde l’âme du cépage… A Bordeaux, cela peut être le Clairet et le Claret, qui fait revivre une tradition du Moyen-Age. Aux vignerons de Tavel, je dis de ne plus se présenter comme “le rosé le plus puissant de France” mais comme “le rouge le plus léger” !
Autre chose : ce qu’on aime boire en quantité est souvent frais, le vin blanc, la bière, le cidre, le poiré… Les bulles marchent très fort aussi. Quant au vin sans alcool
qu’il faudrait d’ailleurs plutôt appeler boisson à base de raisin sans alcool, je préfère voir le raisin recyclé ainsi que distillé, surtout si cela permet aux vignerons de vendre leur récolte à un prix honnête.
AF : Y a-t-il une nouvelle façon d’imaginer les accords mets et vins et autres boissons ?
XT : Les gens sont très ouverts aux expériences. Cet hiver, j’ai fait un accord mets et whisky, sur une préparation de gibier : les convives étaient éblouis ! Chez Grappille, les vins à la carte sont faits par des vignerons que j’ai rencontré et on met l’accent sur 8 accords de saison où le vin est vu comme une sauce pour le plat. Prendre une bouchée de bœuf, mâcher, puis une gorgée de vin, et la magie opère. Idem avec un carpaccio de dorade et un saké, un thon rouge sauce soja et un vin rouge délicat du Roussillon… Il y a une alchimie qui se crée entre le mets et le vin, un effet waouh ! Dès qu’il y a une émotion avec un plat à créer, une histoire à raconter, une identité à dévoiler, il y a de la place.

AF : Quid du prix des vins ?
XT : Ce qui fait vivre un restaurant, ce sont les boissons mais plus on rend les vins inaccessibles, moins on en vend. Je préfère vendre 10 bouteilles à 40€ que de la vendre deux fois à 80€. Il faut faire baisser les coefficients, même si on apprend le contraire dans les écoles hôtelières. Chacun doit prendre sa part de responsabilité, le vigneron doit jouer le jeu et nous on doit absorber l’onde de choc. Le prix est important, les gens font le tour des caves pour chercher le moins cher et sont étonnés de trouver chez moi certaines cuvées à des prix raisonnables. Je suis content de voir des vins chers mais il ne faut pas oublier que les grands crus, Bourgogne ou Bordeaux, concernent 1% du vignoble. L’urgence, ce sont les autres régions où c’est très dur.
AF : Vos coups de cœur du moment ?
XT : Les gens ont envie d’être surpris : déguster des vins de cépages autochtones est une opportunité unique de goûter quelque chose de différent. Dans le sud-ouest, Plaimont excelle avec les cépages locaux comme dans la cuvée Cirque Nord, qui intrigue à l’aveugle. Il se passe aussi beaucoup de choses dans le Jura. Le Roussillon est en train d’exploser, de ressusciter. Mais il faut renoncer à la Syrah, qui n’aime pas la chaleur, en dessous de la Drôme ! Sur ces sujets, les AOC doivent bouger. La Corse est aussi un vignoble qui m’inspire beaucoup tant en rouge qu’en blanc. Ce qu’il faut retenir, c’est que quand on boit un vin, à 5 ou 50€, on boit un lieu, et plus un vigneron est dans sa vigne, plus le vin est grand.
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