
Quand les appellations voient l’avenir en blanc

Retour aux sources, redécouverte de cépages autochtones, valorisation du terroir, diversification pour s’adapter à la demande : zoom sur ces appellations traditionnellement dédiées au vin rouge qui passent au blanc. Cap sur le Médoc, à Fronton, à Cahors ou à Collioure et décryptage par un expert.
10 millions d’hectolitres de vin blanc produits en France en 2025, selon le CNIV (Comité Nationale des Interprofessions des Vins à appellation d’origine et à indication géographique) soit 28% de la production nationale de vin. Mais le constat est sans appel, les attentes des consommateurs évoluent, avec une préférence pour les vins légers, blancs, rosés, effervescents
détaille le rapport sur les “stratégies de marché de la filière vitivinicole” de la Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Nationale présenté en avril 2025.
Ces tendances de consommation se retrouvent sur l’ensemble des marchés matures selon Business France et dans un contexte de baisse de la consommation de vin (-60% depuis les années 60 en France), on observe une baisse en volume plus marquée pour le vin rouge. Avec le tassement noté sur le vin rosé, le blanc semble être une voie d’avenir, choisie ou expérimentée par quelques appellations traditionnellement dédiées au vin rouge.
Lire aussi notre article Pourquoi les français préfèrent-ils le vin blanc ?
Une AOC pour le Médoc blanc
Paru au Journal Officiel le 5 août 2025, l’arrêté homologuant le cahier des charges du Médoc blanc clôt un travail d’environ 8 ans mené par l’ODG Médoc. Une démarche qui n’est donc pas une réponse à la déconsommation de vin rouge mais incarne plutôt la volonté des vignerons médocains de se diversifier et de renouer avec une tradition historique.
La production de vin blanc dans le Médoc daterait en effet du début du XVIIIème siècle atteignant les 16000 hectolitres en 1929, avant d’être supplantée par le vin rouge auréolé du classement de 1855 et d’une AOC en 1936.
Aujourd’hui, environ 170 hectares et 50 à 70 producteurs produisent quelques 5000 hectolitres de vin blanc, majoritairement commercialisés sous appellation Bordeaux blanc. S’appuyant sur les concepts d’authenticité, de véracité, de légitimité et d’unicité, la nouvelle AOC reconnait ce patrimoine existant et récompense une démarche collective portée par les vignerons, se réjouit Hélène Larrieu, directrice de l’ODG des vins du Médoc, Haut-Médoc et Listrac-Médoc. Le Médoc blanc sera produit sur la même aire d’appellation que le Médoc rouge à partir des 4 cépages bordelais – Sauvignon blanc, Sauvignon gris, Sémillon, Muscadelle – auxquels peuvent être ajoutés dans la limite de 10% des cépages à fin d’adaptation tels que l’Alvarinho, le Souvignier gris ou le Floréal. Un élevage sous bois (30% du lot et 3 mois minimum) est requis.
décrit Hélène Larrieu qui ne connait pas encore les revendications sur le millésime 2025.
« Les habitudes médocaines en rouge ont imprégné ce que seront les blancs, des vins plutôt de garde avec de la rondeur et du gras, une complexité qui n’est pas écrasante et également une grande salinité et minéralité liées à notre position entre estuaire et océan. Les Médocs blancs seront des vins produits de manière qualitative, sur des surfaces moyennes très petites et sur des terroirs choisis
Parmi les ambassadeurs
du dossier INAO, le Château Talbot, 4ème grand cru classé de Saint-Julien, produit un Caillou blanc, issu de vignes replantées dès les années 30. La cuvée Anthoinette du Château Castéra est un pur Sauvignon blanc tandis que le Château Fourcas Hosten blanc est un assemblage de Sauvignon blanc et gris et de Sémillon. D’autres grands noms du Bordelais élaborent aussi déjà depuis plusieurs années des vins blancs dans le Médoc : la famille Lurton au Château Brane-Cantenac ou Bernard Magrez à La Tour Carnet. Moins connus, quelques domaines misent aussi sur des blancs de noirs (comme au Château Saint-Hilaire) ou s’affranchissent des contraintes des AOC, comme au Château Sipian qui revendique un 100% Sémillon racé commercialisé en vin de France.
Saint-Emilion : un grand questionnaire sur le plateau calcaire
Sur le plateau calcaire de Saint-Emilion – terroir propice aux grands vins blancs – la question du blanc se pose aussi. Historiquement, Saint-Emilion fut un territoire de blancs, les sols s’y prêtent, mais l’histoire des dernières décennies, avec la notoriété que l’on connait, s’est écrite à l’encre rouge
relate Franck Binard, directeur du Conseil des Vins de Saint-Emilion. Le vin blanc faisant partie des grandes tendances de consommation, on ne peut pas s’exonérer d’une réflexion sur le sujet. Nous avons ainsi lancé cet été un questionnaire pour sonder la volonté de nos 800 adhérents. En fonction des retours, attendus d’ici la fin d’année, la réflexion sera engagée mais avec l’ambition, si on devait s’engager sur cette voie, de faire un très grand vin blanc ».
En attendant, de nombreuses propriétés proposent quelques cuvées, souvent avec succès.
Gérard Perse, l’emblématique propriétaire du Premier Grand Cru classé A Château Pavie, décédé cet été, a été un des pionniers, en 1994, à replanter des vignes en blanc, au Château Monbousquet. Mais le dernier millésime date de 2020 et la production a été recentrée sur le vin rouge.
A Puisseguin, le Château Clarisse a sorti son premier millésime Clarisse Chardonnay 2023, en bio et en appellation Vin de France.
A peine plus loin, sur Pomerol, le Château La Fleur de Bouard propose un Chardonnay vinifié et élevé en barriques commercialisé sous IGP Vin de Pays de l’Atlantique mais aussi un Sauvignon sous appellation Bordeaux.

Sur les plateaux et coteaux du Fronsadais, on retrouve aussi cette diversité de cépages, entre les typiques bordelais
et les autres variétés. Le Château La Dauphine a opté pour le Sauvignon assemblé avec du Sémillon pour une cuvée toute en fraîcheur et minéralité proposé sous AOC Bordeaux blanc.
A Fronsac toujours, Arnaud Roux-Oulié est, lui, un fan de Chardonnay et a choisi la liberté hors AOC pour produire son Alba Magnus, un 100% Chardonnay vendangé à la main, élevé en barriques dans une carrière souterraine.

1800 bouteilles sont produites aujourd’hui sur 80 ares mais le vigneron-artiste qui dessine les étiquettes de ses vins vient de planter un hectare supplémentaire. Ce vin confidentiel se déguste aussi à la table du domaine viticole du Château Lagüe. La rive droite, aussi, rêve parfois de blanc.
Fronton, l’atout Bouysselet
Avec déjà 27 hectares plantés en Bouysselet, un cépage blanc autochtone redécouvert par hasard, et des démarches d’ores et déjà engagées auprès de l’INAO, le Frontonnais, dont l’AOC pour le rouge fête ses 50 ans en 2025, vise aussi l’obtention d’une appellation pour le blanc. Présent jusqu’après-guerre dans l’appellation Villaudric VDQS, ce cépage tardif avait été abandonné, la demande s’orientant sur le rouge dans les années 70. Jusqu’à ce que le Domaine La Colombière retrouve sa trace dans un jardin sur une vigne préphylloxérique, le sur-greffe sur des pieds de Négrette et s’enthousiasme dès les premières vinifications. Ce cépage aurait une parenté avec le Savagnin du Jura. Très aromatique, il se caractérise par une belle acidité et une grande complexité, avec des tanins présents et une capacité de garde. A la vigne, les vignerons sont dithyrambiques : il pousse droit, a un bon rendement, est peu sensible au gel, aux maladies et à la pourriture, s’enthousiasme Benjamin Piccoli, directeur de la Maison des Vins de Fronton. Après un long travail d’identification, le cépage a été inscrit au Catalogue des variétés de vigne et est entré officiellement dans le cahier des charges de l’AOC Fronton (rouge et rosé) en 2025 : « c’est une première étape qui permet aussi de sanctuariser ce cépage sur Fronton
, explique Benjamin Piccoli qui travaille déjà avec l’INAO sur l’obtention de l’AOC pour le blanc.
Huit cuvées existent déjà, élaborées par 7 producteurs différents. Pionnier, La Colombière propose son Grand B fermenté et élevé en foudres et même un blanc oxydatif version rancio sec.

Elevage en barriques aussi au Domaine Le Roc ou pour L’Impertinent du Château Viguerie tandis que la famille Penavayre au Château Plaisance mixe différents élevages voire l’assemble selon les cuvées. Le Nectar de Bouysselet du Château Belaygues passe lui en amphore et le Sessanta du Château Boujac simplement élevé sur lies. Le Bouysselet est un cépage qui ne ressemble pas aux autres cépages du sud-ouest, il donne des vins de repas complexes et de garde qui se valorisent très bien en termes de prix
complète Benjamin Piccoli. Dans ces départements qui comptent parmi ceux où on a le plus arraché, 17 opérateurs en ont déjà planté, ce qui montre un vrai engouement dans un contexte compliqué.

Cahors : black or white (vin noir ou vin blanc) ?
Cahors, c’est le “vin noir”, celui qu’appréciaient François 1er, les rois d’Angleterre ou le tsar de Russie. Si le cépage Malbec (ou Cot ou Auxerrois) est emblématique de ce vin à la couleur très soutenue qui a obtenu une AOC en 1971, l’Histoire plus ancienne et la diversité des terroirs, vallées alluviales et causses calcaires, incitent de nombreux vignerons lotois à (re)planter du blanc.A ce jour, il y a environ 250 hectares de vignes plantées en blanc sur les 4000 ha du territoire de Cahors, précise Sébastien Sigaud, président de l’Union Interprofessionnelle des Vins de Cahors et des Côtes du Lot qui réunit depuis début 2025 les syndicats de l’AOP Cahors et de l’IGP Côtes du Lot. « La volonté est d’aller vers la diversification et les vignerons souhaitent avoir les 3 couleurs sur leurs domaines.

Aujourd’hui, les vins blancs, produits au bon gré de chacun à base de Chardonnay, de Chenin, de Viognier ou de Tempranillo parfois, se valorisent très bien en IGP Côtes du Lot ou en Vin de France. Il n’y a donc pas d’urgence à aller sur un dossier AOP Cahors blanc tant qu’un cépage phare et identitaire n’aura pas été identifié assure le président qui produit lui-même un Chenin planté sur des coteaux calcaires très pentus exposés plein Nord.

Après un travail sur les terroirs, une étude climatique est en cours permettant notamment d’identifier les zones gélives et de préparer la vigne de demain, en termes de zones et de cépages.
En attendant, la moitié des 280 producteurs locaux élaborent sur des parcelles choyées et avec une vraie vision vigneronne
des cuvées ciselées qui sont très appréciées. Citons le Pigeonnier ou le Blanc de Julie à base de Viognier chez Lagrézette, le Cèdre blanc, Viognier toujours, du Château Le Cèdre, la Cigaralle du Prince du Domaine Cays à base de Chardonnay, l’Albesco du Château Haute-Serre, le Dolmen en Chardonnay du Domaine Belmont ou l’Elégante du Domaine du Prince, un 100% Grenache gris.
Collioure, un blanc de l’extrême et d’avant-garde
Historiquement connu pour ses vins rouges puissants et ensoleillés et berceau des vins doux naturels, le Roussillon produit aussi quelques vins blancs secs. Comme le Collioure blanc élaboré majoritairement à partir de Grenache blanc et gris sur cette Côte Vermeille porteuse de vignobles héroïques
, ceux produisant le Banyuls, un vin muté riche et complexe, et ceux produisant les vins sous appellation Collioure. Avec une AOC Collioure rouge octroyée en 1971, une AOC Collioure rosé en 1991 et finalement l’AOC pour les blancs obtenue en 2003. L’idée de vinifier en blanc sec nos vieilles vignes de Grenache gris (et un peu de Grenache blanc) est née en 1993, raconte Thierry Parcé, cofondateur du domaine de La Rectorie. Dès le premier millésime, on a été convaincu par la belle structure en bouche avec une légère pointe d’amertume et c’est un vin qui vieillit très bien.
Le succès des pionniers à vinifier en blanc sec – tout partait historiquement en vin doux naturel, puis en rouge et rosé et VDN avec deux vendanges successives – a abouti à un dossier déposé auprès de l’INAO. L’AOC pour les blancs a été obtenue en une petite dizaine d’années après les premiers essais et a incité d’autres vignerons à se lancer. Or, sur notre terroir historiquement dédié aux VDN, prendre ce virage et se diversifier était judicieux. Et il y a aujourd’hui une vraie demande, un vrai attrait commercial pour le blanc. Mais il ne faut pas faire n’importe quoi. A Collioure, nous avons choisi de garder un cépage principal du cru, de travailler en parcellaire sur ce territoire de schiste qui va de la mer jusqu’à 400 mètres d’altitude. Il ne faut pas copier ce qui se passe ailleurs mais garder son identité et l’expression de son terroir
.
Si vous voulez en savoir plus sur le terroir de Collioure, lisez nos articles Collioure, un terroir entre mer et montagne & A Collioure, le changement c’est maintenant.
3 questions à Julien Viaud, œnologue-consultant et directeur-associé du Laboratoire Rolland
Alexandra Foissac : Comment analysez-vous cette bascule vers le vin blanc dans certains domaines et appellations ?
Julien Viaud : Il est compliqué d’innover dans le vin : cela fait 2000 ans qu’on fait du vin avec du raisin et cela va continuer ! Or dans un contexte tendu et alors que le temps viticole est long et que le marché du vin rouge se tasse, plutôt que de faire des seconds ou 3èmes vin qui ne trouveront pas écho auprès de consommateurs, se réorienter vers le blanc est dans l’air du temps. Le vignoble souffre, il y a des décisions dures et tranchantes à prendre : l’arrachage en est une, la transformation en est une autre. On sait que le blanc s’exprime bien sur certains terroirs. C’est notre rôle de conseillers techniques d’orienter et de façonner des vignobles qui vont faire de grands vins, sans oublier que quand on plante une vigne, c’est pour 50 ans ! Il faut certes écouter les tendances du marché mais ne pas faire n’importe quoi.
AF : Quelle typologie de projets ou d’acteurs observez-vous, notamment dans le Bordelais ?
JV : Il y avait une tradition forte de production de vin blanc partout dans le Bordelais puis sont arrivés le Phylloxera, l’orientation vers le rouge. Aujourd’hui, j’observe ici et ailleurs, que ceux qui se diversifient sont surtout les propriétaires, quelle que soit la génération, qui vendent leurs vins en direct, qui sont au contact des marchés et des clients. Et qui veulent proposer un vin différent et valoriser leur terroir.
AF : Quels enjeux derrière cette évolution vers le blanc ?
JV : L’évolution vers le blanc doit se faire au service du terroir et de la promotion de la région, en ayant une histoire à raconter pour intéresser le consommateur et en restant simple et lisible. Il faut faire bouger les lignes et le blanc a aussi son intérêt, surtout avec des cépages internationaux comme le Chardonnay mais aussi avec des cépages autochtones typiques, pour aller chercher des consommateurs ennuyés par le côté aristocratique des grands crus classés.