
Omar Barbosa : un sommelier talentueux venu du Mexique installé à Bordeaux

Déjà sacré 2 fois meilleur sommelier du Mexique, Omar Barbosa a posé ses valises en 2016 dans la capitale girondine et enrichi son palmarès du titre de Meilleur Sommelier des Vins de Bordeaux 2023… en attendant son prochain défi. Rencontre avec un quarantenaire de grande humilité, au parcours hors du commun.
Laura Bernaulte : Omar, raconte-nous, comment la passion du vin t’est-elle venue au départ ?
Omar Barbosa : J’ai fait des études en gastronomie. Dans mon cursus, j’ai choisi de suivre le cours de dégustation de vin. J’avais 19-20 ans, c’était la première fois que je goûtais un vin, un rosé du Mexique. J’ai découvert plein d’arômes, de saveurs, de goûts que je ne connaissais pas, ça m’a beaucoup intéressé. En 2007, après mon cursus en gastronomie, j’ai donc décidé de suivre un diplôme en sommellerie en un an, tout en travaillant en parallèle comme second de cuisine dans le restaurant gastronomique Amaranta, dans la petite ville de Toluca. Parfois, le serveur et le responsable de salle venaient en cuisine me voir pour des conseils sur les accords mets-vins, jusqu’à un jour me demander de sortir en salle, en tenue de chef, pour venir conseiller les clients. Le propriétaire, qui est aussi le chef, m’a proposé de partager ma semaine entre la sommellerie et la cuisine, j’ai bien sûr accepté ! En 2009, j’ai décidé de me spécialiser en sommellerie.
L.B : Comment s’est déroulée la suite de ta carrière en sommellerie ?
O.B : Comme je voulais évoluer dans ce métier, j’ai décidé en 2010 de déménager vers Mexico, la ville où tout se passait pour la sommellerie et la gastronomie. J’ai travaillé pour une société de consulting qui proposait des cours de dégustation, des consultations en sommellerie, la création de cartes de vins pour les restaurants et la formation des équipes en sommellerie. C’est d’ailleurs à ce poste, sur un salon des vins de Bordeaux, que j’ai rencontré mon épouse Marlène, qui travaillait à l’époque pour SOPEXA, structure chargée de la représentation des produits français AOP et IGP à l’étranger. Depuis longtemps, je voulais participer au Concours du Meilleur sommelier du Mexique, mais ça me semblait intouchable. Je me suis vraiment mis à travailler en ce sens à mon arrivée à Mexico, j’ai participé pour la première fois en 2011, et ai remporté le titre. A cette époque, le concours était annuel et le vainqueur pouvait concourir à nouveau, alors en 2013, quand il s’est agi de déterminer quel sommelier représenterait le Mexique au Concours du meilleur sommelier du monde, j’ai participé une nouvelle fois contre les vainqueurs 2010 et 2012. J’ai gagné et me suis envolé vers Tokyo pour tenter de devenir le meilleur sommelier du monde. Je suis arrivé à la 23ème place sur 60 candidats.
L.B : Comment un beau jour, avez-vous décidé, avec ton épouse Marlène, que le chapitre suivant s’écrirait à Bordeaux ?
O.B : Pour professionnaliser notre métier, Marlène et moi voulions suivre des études un peu plus poussées, comme un master ou un MBA, mais ce style de diplôme n’existait pas à cette époque au Mexique. Après avoir hésité avec la Napa Valley en Californie, nous avons choisi la France, Marlène parlant déjà français et puisque nous avions repéré un master en vins et spiritueux à la Kedge Business School de Bordeaux. Malheureusement, en 2016, cette école nous proposait la formation en français seulement, alors que je ne le parlais pas encore. Durant 4 mois, je me suis mis à fond dans l’apprentissage de la langue, pour finalement intégrer un master économie et œnotourisme à l’université Bordeaux Montaigne. Une fois diplômé, j’ai travaillé 2 ans au restaurant de la Cité du Vin, puis en 2019 sur la dernière édition du salon Vinexpo. Pendant les 10 mois qui ont suivi, j’ai fait des extras les week-end au restaurant Le Chapon Fin, puis pris le poste de chef sommelier en août 2020, après avoir été coincé au Mexique par le Covid. Depuis juillet 2022, je suis responsable formation et accueil au château Magnol, possédé par la maison de négoce Barton & Guestier à Blanquefort.

J’organise la venue de nos clients professionnels sur place, je m’occupe des cours de dégustation et master-class en live ou vidéo, du réceptif… A travers ce poste dans une grosse société, je découvre une autre facette du monde du vin que je ne connaissais pas et qui me plaît beaucoup. J’aime partager mes connaissances avec les clients, être ambassadeur de la marque, échanger avec mes collègues du marketing, œnologues, vignerons, et sans cesse enrichir mes connaissances en vin.
L.B : Après avoir été sacré 2 fois meilleur sommelier du Mexique, tu as décidé de concourir en 2023 au titre de Meilleur Sommelier des Vins de Bordeaux. Pourquoi ?
O.B : Je n’aime pas être dans ma zone confort, sans cesse me challenger est pour moi la meilleure façon d’apprendre. Pour cette raison, pour légitimer mes connaissances de la région dans laquelle je vis depuis 8 ans et pour avoir un titre de plus, en France cette fois, bien motivé par Marlène, j’ai décidé de participer à ce concours. Je m’y suis préparé dans le même esprit que quand j’ai préparé le concours de meilleur sommelier du Mexique. J’ai beaucoup révisé la théorie, qui représente une grosse partie de la note, et j’ai aussi dégusté une dizaine de vins par jour dans les 2 semaines précédant le concours. Mon travail a été récompensé, puisque je l’ai emporté face à 15 concurrents.

L.B : Quelles sont selon toi les qualités pour être un bon sommelier ?
O.B : Je crois qu’il faut être discipliné, réviser perpétuellement et suivre les dernières informations du monde du vin, car le milieu change et évolue sans cesse. Il faut être très au point en dégustation, en goûtant fréquemment et en prenant des notes professionnellement. Il faut aussi savoir rester humble, la sommellerie étant basée sur le partage et le conseil. Les clients nous accordent leur confiance, il faut savoir communiquer et être accessible, pour ne pas les intimider et bien cerner leurs attentes.
L.B : Quel sera ton prochain défi ?
O.B : Je veux tenter le prestigieux Master of Wine, un examen très difficile qui se déroule sur 3 ans, avec un taux réussite de l’ordre de 10%. Si j’arrive à l’obtenir, je serai le premier mexicain à décrocher ce titre, ce qui représenterait un gros saut dans ma carrière. Je voudrais aussi participer au concours du meilleur sommelier de France, mais pour concourir, je dois avoir la nationalité française. Nous sommes justement en train de mener les démarches. J’aimerais bien également retenter le concours de meilleur sommelier du monde en me représentant pour le Mexique, pas forcément en 2026, mais peut-être en 2029. J’ai un peu plus d’expérience et la tête plus posée qu’il y a 10 ans.
L.B : Peux-tu nous confier 3 coups de cœur vin ?
O.B : Mon premier coup de cœur est le château Magnol. Premier domaine en AOC Haut-Médoc au sud de Bordeaux, il possède un très beau terroir, plutôt sablo-graveleux, qui permet d’obtenir à la fois de jolis merlots et cabernets sauvignons. Vinifiés avec un excellent niveau technique, ils dominent l’assemblage à parts égales, accompagnés d’un soupçon de petit verdot et de cabernet franc. Grâce à un élevage en barriques de 350 L, à l’impact beaucoup plus doux, ce vin au profil bordelais affiche une excellente buvabilité dès sa jeunesse, mais aussi un beau potentiel de garde, aisément de 5 à 10 ans. Par exemple, les 2020 et 2021 se dégustent actuellement très bien, tout comme dans un autre style, les 2015-2016.
Mon deuxième coup de cœur est le pinot noir 20 Barrels de Cono Sur, venu de Casablanca au Chili. On a toujours l’idée que les vins chiliens sont des vins de soleil, mais celui-ci est créé sur un terroir au climat plus frais, proche de l’océan Pacifique, idéal pour les cépages blancs et le pinot noir. Ce sont les meilleures parcelles, toujours travaillées avec précision, qui entrent dans cette cuvée avec beaucoup de velours, une belle complexité aromatique, des tanins soyeux. Ce vin pourrait rivaliser sans souci avec des appellations village
de Bourgogne.
Mon troisième et dernier coup de cœur vient du domaine mexicain El Cielo, en Basse-Californie, précurseur de longue date de la qualité des vins au Mexique. Sa cuvée Perseus est créée à partir de nebbiolo, dans un style très différent du même cépage cultivé en Italie, du fait climat du plutôt méditerranéen. A la couleur soutenue, ce vin conserve le côté fruité du nebbiolo, mais avec plus de concentration, de structure et un style plutôt boisé, avec un élevage en barriques françaises neuves. Cette cuvée affiche un potentiel de garde à 10 à 15 ans sans souci.
L.B : Sans surprise, de par ton parcours, tu es aussi fin cuisinier et fan de gastronomie. Si tu devais proposer 3 accords mets-vins à nos lecteurs, ce serait...
O.B : D’abord, un château Beychevelle 2009 (Saint-Julien, Bordeaux), avec un pigeon rôti et fumé aux sarments de vigne, accompagné de son jus de viande corsé aux morilles. Les arômes de fruits noirs du vin seront exaltés par les notes fumées du pigeon, ses tanins arrondis par le jus de viande en sublimant l’association des morilles et les notes de sous-bois du vin.
Ensuite, un Meursault Patriarche Père et Fils 2021 (Bourgogne), avec des coquilles Saint-Jacques poêlées, leur mousseline de panais et sauce tangerine. La délicatesse du vin s'accordera bien avec les Saint-Jacques, la sauce aux agrumes relèvera son côté fruité, et le panais lui donnera une texture encore plus crémeuse.
Enfin, un Zind-Humbrecht Clos Saint Urbain, Range de Thann, Alsace Grand Cru 2016, avec un ceviche de turbot, mangue, citron noir et coriandre. Les notes iodées feront ressortir la tension et la fraîcheur du riesling, alors que la mangue enrobera le côté tropical et décuplera le plaisir.
L.B : Pour clôturer cette interview, peux-tu nous dire quelques mots sur la viticulture au Mexique ?
O.B : Le Mexique est historiquement le premier producteur de vin de toute l’Amérique, avant les Etats-Unis, le Chili ou l’Argentine, mais aussi le plus ancien producteur du Nouveau Monde. Ce sont les Espagnols qui ont introduit Vitis vinifera dans le pays. La viticulture date de 1521, mais pour des raisons politiques et économiques, elle n’a pas progressé jusque dans les années 1980-1990. A partir des années 2000, quelques producteurs, formés en France et en Espagne, ont décidé faire des vins de qualité, un élan qui s’est encore accru dans les 5 dernières années. Aujourd’hui, notamment en Baja California, dans le nord du Mexique, où se trouve la majeure partie vignoble, il y a de très jolies choses. On retrouve des cépages italiens, espagnols et français, mais aussi des cépages auxquels on n’aurait jamais pensé, comme le chasselas, le riesling ou encore le gewurztraminer, vinifiés avec de plus en plus de maîtrise. Le Mexique n’ayant pas de terroir et cépage aussi identitaires que d’autres pays comme l’Argentine et le malbec, le Chili et le carménère, ou encore l’Australie et la shiraz, les vignerons font sans cesse des expérimentations et avisent en fonction. Ainsi, la petite sirah ou le cabernet sauvignon pourraient bien faire des vins très qualitatifs. Actuellement, 8000 hectares sont affectés à la production de vin, rouge à 70%, blanc, rosé ou effervescent à 30%. Le reste, soit environ 40 000 hectares, est destiné à la distillation et au raisin de table.
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