L'hydromel : quand le vin de miel se réinvente

L'hydromel : quand le vin de miel se réinvente

Et si on redécouvrait l’hydromel ? Le vin de miel, au sens technique, est la plus ancienne boisson alcoolisée au monde, qui a connu ses heures de gloire et se réinvente aujourd’hui en adoptant les codes du monde du vin. La preuve au Rucher de Saint-Desle, chez des apiculteurs-hydroméliers nouvelle génération.

“Le vent souffle sur les plaines de la Bretagne armoricaine […], Les chefs nous ont donné à tous des gorgées d'hydromel, Pour le courage, pour pas qu'il y ait de faille…” Dans la Tribu de Dana et dans l’inconscient collectif, l’hydromel reste une boisson un peu mystérieuse, parée de milles vertus et connotée d’Histoire, entre épopée celte, banquets médiévaux et Dieux de l’Olympe. L’hydromel est en effet, avec la bière, une des plus anciennes boissons alcoolisées au monde largement consommée depuis la nuit des temps.

L’hydromel, un peu d’Histoire et de géographie

L’hydromel est un vin de miel, obtenu, selon la loi et comme l’indique son nom venu du grec ancien (hydro = eau, mel = miel), par fermentation alcoolique d’un mélange de miel et d’eau. Si Aristote et Pline l’Ancien ont évoqué ce breuvage, les premières traces de production d’hydromel remonteraient à l’ère préhistorique et on le retrouve dans les mythologies grecques, romaines, nordiques mais aussi chez les Gaulois, sur fond d’orgie et de grands banquets, ou encore au Moyen-Age où il fut remplacé par l’hypocras. Malgré la concurrence d’une autre célèbre boisson fermentée – le vin – mais aussi de la bière, l’hydromel sera une boisson usuelle en Europe jusqu’au XIXème siècle et reste encore, historiquement, produit et consommé dans les pays septentrionaux non viticoles.

L'hydromel : un marché en pleine croissance

Selon Fortune Business Insights, le marché mondial des boissons à base d’hydromel était de 533,3 millions de dollars en 2023 et devrait croitre jusqu’à près de 1400 millions de dollars à l’horizon 2032. Une croissance impressionnante qui s’explique et se traduit par l’ouverture de nombreuses hydromeleries : 300 ont ouverts depuis 2010 et 150 sont en projet, notamment en Europe et en Amérique du Nord mais aussi de façon émergente en Inde, Thaïlande, Japon, Israël ou Mexique, alors qu’on en comptait 140 dans le monde au XXème siècle. Mais son coût de production reste élevé, le miel étant un produit noble. L'hydromel profite aussi de l’évolution des tendances de consommation de boissons alcoolisées : il affiche ainsi un degré allant de 8 à 20% et offre aussi une grande diversité de styles et de goûts.

Un hydromel mais aussi des hydromels

Si la définition stricte et légale de l’hydromel désigne le seul mélange de miel et d’eau fermenté, certains, notamment dans les pays anglo-saxons, distinguent 4 catégories, subdivisées en sous-catégories : l’hydromel traditionnel (qui peut être sec, demi-sec ou doux), les hydromels aux fruits, les hydromels épicés et les hydromels de spécialité. Le chouchen, inventé en Bretagne, est lui un breuvage issu de la fermentation de cidre et de miel. Mais si l’hydromel est un produit coûteux, le miel étant une denrée noble, il faut noter que chacun peut s’improviser hydromelier et élaborer son hydromel. Il y a d’ailleurs toute une communauté d'amateurs d’hydromel et d’hydromeliers du dimanche et même un championnat du monde qui se déroule chaque année en Pologne !

Le Rucher de Saint-Desle : un projet de vie autour de l’hydromel

C’est un peu comme cela qu’est né le Rucher de Saint-Desle installé près de Vesoul. Des ruches au fond du jardin, du miel en abondance une année, et la curiosité de Corinne et Christophe, ingénieurs agro-alimentaire et amateurs de vin, qui ont décidé de fabriquer de l’hydromel.

Corinne et Christophe Duchanoy ont décidé de fabriquer leur propre hydromel
Corinne et Christophe Duchanoy ont décidé de fabriquer leur propre hydromel

Avant de se professionnaliser avec une première production commerciale en 2019 et une installation dans l’ancienne ferme des grands-parents en Haute-Saône : aujourd’hui, le Rucher de Saint-Desle compte un cheptel de 100 ruches en production avec 5000-6000 abeilles en sortie hiver par ruche et jusqu’à 50000 au printemps. La production annuelle de miel avoisine les 2,5 tonnes par an avec un objectif de 60 hectolitres d’hydromel par an. Car c’est là que réside l’originalité du projet : Corinne et Christophe sont apiculteurs et hydromeliers, maîtrisant ainsi l’ensemble de la chaîne, ce qui garantit la qualité du produit final.

Les ruchers de Christophe et Corinne
Les ruchers de Christophe et Corinne

Des ruches aux fûts : genèse de l’hydromel

Nous sommes deux en France à produire notre propre miel pour élaborer l’hydromel, explique Corinne Duchanoy, dont l’emploi du temps est dicté par les abeilles. De mars à septembre, notre activité est centrée sur l’apiculture, on récolte les premiers miels de printemps en mai jusqu’à mi-juillet. Nous restons sur la flore locale, fruitiers, aubépine, prunus, acacia, fleurs des haies et des champs, trèfle pour le miel de plaine dans un rayon de 20 kilomètres autour de chez nous. Et nous avons deux ruches installées sur les contreforts des Vosges à 500-600 mètres d’altitude ce qui nous permet de fabriquer un miel de montagne, avec la végétation locale de conifères. On ne cherche pas à faire un miel monofloral et on laisse l’abeille sécher le miel. De septembre à mars, notre travail se déroule à la cave, équipée de cuves de 240 et 625 litres et dotée de 18 fûts. Les fermentations alcooliques se déroulent entre octobre et janvier avec une base de levures indigènes développées selon la technique du pied de cuve et on ensemence avec des levures sèches actives pour pousser la fermentation alcoolique jusqu’à 12-14% d’alcool. Il n’y a pas de fermentation malolactique car il n’y a pas d’acide malique dans le miel. On utilise de l’eau de source pour le mélange eau et miel et on ne stérilise pas pour garder l’aromatique. En parallèle, se déroule la mise en bouteilles du millésime antérieur, qui a été élevé en cuve pendant 12 à 18 mois et en fûts (228 litres) neufs ou de un à trois hydromels pendant 18 à 24 mois. détaille l’apicultrice et hydromélière.

Hydromels, eau-de-vie, pet nat et liqueur : variations sur le même miel

Le Rucher de Saint-Desle propose 4 types d’hydromels : sec (10-15 g sucre / litre), demi-sec (20-25 g sucre /l), moelleux (50 à 100 grammes) et doux, avec parfois et selon les années, des assemblages de miels de plaine et de montagne ou des miels monofloraux. Un pet nat en brut nature et en demi-sec a également vu le jour : la 2ème fermentation se déroule en bouteille avant un élevage sur lattes avec remuage puis dégorgement.

La cuvée demi-sel d'hydromel du Rucher de Saint-Desle
La cuvée demi-sel d'hydromel du Rucher de Saint-Desle

La liqueur d’expédition étant bien évidemment du miel ! Une gamme de spiritueux étoffe aussi la gamme : la fermentation est poussée jusqu’à 16% d’alcool, et après distillation, une partie est élevée en fûts et une autre rectifiée pour faire une blanche. Sans oublier une liqueur, élaborée sur le principe du floc ou du pineau, issue d’un mélange d’eau-de-vie d’hydromel et d’hydromel et miel. Petit dernier : une cuvée spéciale de vinaigre imaginée avec un fabriquant savoyard qui élève ses vinaigres en fûts. Le miel mène à tout !

Une cuvée spéciale vinaigre issue de l'hydromel
Une cuvée spéciale vinaigre issue de l'hydromel

Quels accords mets et vins avec de l’hydromel ?

Et l’hydromel s’invite à table ! Sachant qu’il se consomme à température ambiante ou juste rafraîchi à 12-14°C. Et se prête à des accords surprenants : un sec sur un poisson ou une volaille sauce aux champignons, un demi-sec sur des fromages secs de chèvre, une cuisine épicée asiatique ou antillaise et même sur une viande un peu forte type gibier. Le demi-sec sera aussi une alternative au trop-vu accord vin liquoreux – foie gras et sur un dessert au chocolat noir.

L'hydromel : un accord parfait avec le fromage de chèvre
L'hydromel : un accord parfait avec le fromage de chèvre

Quant au moelleux, il peut s’accorder à un nougat, à du pain d’épice. On retrouve l’aromatique du miel mais avec une palette de goûts très large, allant de notes de camomille, tilleul à des saveurs de fruits confits, d’épices en passant par la brioche, souvent avec une légère amertume en fin de bouche, qui est un peu le marqueur de l’hydromel. Et avec une complexité et une longueur en bouche qui reprend les codes de la dégustation de vin…

Chez L’Ophelix, créé en 2021 dans le Roussillon, avec l’ambition d’élaborer un hydromel gastronomique, la cuvée Pétillance, un assemblage de miel toute fleurs (80%) et miel de châtaignier (20%) s’invite à l’apéritif et au dessert mais aussi sur les fromages à pâte molle ou persillée tandis que la cuvée L’Inattendu, élevée 6 mois en fûts de chêne, est suggérée sur des plats végétariens et asiatiques et même sur des crustacés.

L’hydromel travaillé comme un vin : pourquoi, comment ?

Nous sommes amateurs de vins mais ne venons pas d’une famille de vignerons. Après s’être essayé à l’élaboration d’hydromel, l’idée est venu de le travailler comme un vin. Au départ nous n’avions qu’une cuve inox et on s’est peu à peu équipé après s’être documenté, avoir échangé avec des vignerons. Nous travaillons avec deux œnologues, d’Alsace et de Bourgogne ce qui est intéressant car cela amène la vision de ces deux régions viticoles. Nous aimerions aussi faire un élevage sous voile, pour amener des notes d’oxydation, de noix qui marchent bien avec le miel. C’est un projet en réflexion… témoigne Corinne Duchanoy.

Crédits photos : Le Rucher de Saint-Desle


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