L'apéritif à la française : voyage à travers un siècle de tendances

L'apéritif à la française : voyage à travers un siècle de tendances

En tant que moment partagé, l’apéritif a semble-t-il toujours existé. Dans sa polysémie (NDLR : propriété d'un mot ou d'une expression d'avoir plusieurs sens ou des significations différentes), il désigne aussi une catégorie de boissons, souvent aux saveurs douces qui se sont développées de manière locale et régionale. Comment la tendance a-t-elle évolué au cours des deux siècles derniers ? Discussion libre avec Nathanaël Travier, auteur de La France des apéritifs.

Maylis Détrie : Vous parlez d’un retour de l’apéritif, de quoi parlez-vous exactement ?

Nathanaël Travier : Je ne parle pas du moment partagé mais bien des alternatives au vin. Je parle du retour de liqueurs et de la Suze par exemple.

MD : Comment expliquez vous à travers notre histoire qu’ils aient disparu ?

NT : Après la guerre de 1914, la dynamique des apéritifs est arrêtée, notamment à cause d’un événement majeur dans la diversité du paysage de l’alcool : l’interdiction de l’absinthe en 1915. Le motif donné est que cela rend fou. Bien sûr certains maîtrisent mal sa production et la vende frelatée. On ne se le figure pas, mais à l’époque, on boit de l’absinthe autant que l’on boira du vin plus tard, c’est à dire de manière systématique. Ce qui se dit aussi de façon officieuse : est-ce que cela pourrait être les lobbys du vin qui auraient obtenu son interdiction car on observe une concomitance avec l’explosion de sa consommation.

Cartographie issue du livre de Nathanaël Travier
Cartographie issue du livre de Nathanaël Travier "La France des apéritifs" - Crédit photo : Editions Artemis

MD : Que se passe-t-il avant et après ?

NT : En réalité, toutes les régions de France ont essayé de faire de l’alcool avec ce qu’il y avait à côté de chez eux : prunes, cerises pour obtenir des alcools légers qui accompagnent des pratiques conviviales. Cela a d’ailleurs commencé dès le XIIème siècle avec les congrégations bénédictines qui fabriquait de la Chartreuse dans les Alpes. Et puis au milieu du XIXème siècle, on invente tout : la voiture, l’électricité et tous les grands apéritifs. Notamment, un, qui a quasiment disparu le Byrrh, qui a été la star la plus consommée de France en 1935. Plus tard, dans le cinéma français des années 60 chez Claude Sautet, on verra les personnages commander des petits verres de liqueurs qui se lampent. Mais en réalité, le vin a déjà explosé et est consommé massivement.

MD : Qu’est-ce qui amène ce déclin constaté à partir des années 60 ?

NT : On ne boit plus d’apéritifs ou de façon très localisée. Le Pontarlier, Le Pineau, Le Dubonnet ont encore une tradition marquée mais dans la région dans laquelle ils sont produits. Vous allez dans n’importe quel restaurant, vous avez toujours un alcool local proposé comme le Lillet ou la Suze. Le Byrrh disparaît jusqu’à ce qu’il tombe dans l’oubli. Le Dubonnet ne produit aujourd’hui que de manière ultra confidentielle mais est encore exporté en Amérique du Sud !
Les années 80 et 90 sont vraiment marquées par le vin et par les alcools d’importation comme le whisky, la vodka.

MD : J’ai l’impression qu’on oublie une catégorie dont la consommation n’a jamais baissé : ce sont les pastis, le ricard et les anisettes ?

NT : Oui tout à fait parce que les distillateurs de pastis étaient tous en Franche-Comté proche de la frontière suisse. Suite à l’interdiction de l’absinthe, ils ont cherché à produire le même genre d’apéritif mais sans absinthe. C’est ce qui a donné le Ricard. Et ce produit-là il a eu l’effet de remplaçant qui a fonctionné.

MD : Mais comment cela se fait-il qu’on l’associe au sud-est ?

NT : Simplement parce qu’un des cousins Pernod était installé dans le sud et a changé l’image d’origine du pastis. En gros, il faut distinguer 2 grandes catégories : celles des apéritifs herbacés type Suze, Génépi, Chartreuse, Pastis et celle des liqueurs douces comme le Pineau, le Grand Marnier, le Cointreau.

Présentation du livre
Présentation du livre "La France des apéritifs" et accords mets et apéritifs - Crédit photo : OLINFACT

MD : A quel moment la France connaît-elle une nouvelle tendance ?

NT : En 2010, avec le gros boum de la mixologie. On redécouvre alors tous les accompagnateurs de cocktails : la Suze, le Cointreau, le Vermouth, le Lillet. Dans les cartes des bars il y a des cocktails élaborés avec beaucoup d’ingrédients additionnés. Et puis petit à petit en arrivant vers 2020, on laisse tomber les frous-frous et on revient à des cocktails dépouillés avec des produits de qualité : un gin tonic, un bon gin, un bon tonic artisanal, quelques baies. Un moscow mule avec une bonne vodka et de la ginger beer. Dans ce même temps, il y a eu aussi l’explosion de la production de bière locale qui a eu grand succès mais je trouve que ça s’étiole un peu.

MD : Et le vin dans tout ça ?

NT : Le Bordeaux et la Bourgogne ont eu leurs heures de gloire. Mais quelque part, le vin demande à être appris pour le comprendre, savoir quoi consommer. Alors que le reste ne demande pas grand-chose. Dans les milieux d’initiés, on cherchera sans doute des choses plus raffinées mais pour les amateurs, le retour du sucre a quelque chose de simple, amusant et facile.

MD : Quelles prédictions vous faites pour les années à venir ?

NT : Je pense qu’il restera ça de la période mixologie, une redécouverte de tous ces alcools d’apéritifs traditionnels qui vont revenir sur les tables. Il va y avoir un retour un peu chauvin vers ces produits locaux que sont les liqueurs, les Vermouths, les alcools de plantes.

MD : Qu’en est-il de ce qu’on mange à l’apéritif ?

NT : Longtemps, très longtemps, l’apéritif ne se buvait que seul. C’était une sociabilité de bistrot qui durait 30 minutes et après on rentrait chez soi. Aujourd’hui, c’est un moment aussi où l’on mange des choses spécifiques comme des rillettes ou une tapenade. Mais dans la plupart des bars de France, vous n’aurez guère plus que des cacahuètes. Alors qu’on peut faire des accords mets et apéritifs très raffinés.

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