Investissements étrangers dans les domaines viticoles : décryptage et exemples

Investissements étrangers dans les domaines viticoles : décryptage et exemples

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Certains vignobles se transmettent de génération en génération. D’autres passent de main en main, parfois sous pavillon étranger. Qui sont ces investisseurs étrangers dans les vignobles français mais aussi parfois ces investisseurs français dans des domaines européens ? Pourquoi telle région viticole, pourquoi tel domaine, quelle est la part de la passion pour le vin et de l’investissement financier ? De Bordeaux au Languedoc en passant par Bergerac, un tour d’horizon, non exhaustif, de ce sujet qui fait parfois débat.

Le Château de Fayolle au cœur du vignoble de Bergerac - Crédits photos : Alexandra Foissac
Le Château de Fayolle au cœur du vignoble de Bergerac - Crédits photos : Alexandra Foissac

La France est le premier pays européen en termes d’investissements étrangers et le 2ème producteur mondial de vin en volume. Réunissons ces deux faits économiques et ajoutons le prestige des vins et appellations viticoles françaises et on comprend l’engouement des investisseurs étrangers pour les vignobles de France et de Navarre. Parfois à l’aune de sincères passions pour le vin et pour une région, parfois sur fond de scandales comme lors de l’arrivée de milliardaires chinois dans le Bordelais ou quand le couple Brad Pitt-Angelina Jolie se déchire autour du domaine provençal Miraval… Loin des clichés et des affaires tapageuses, quelle est la réalité de ces investissements étrangers dans le vin ?

Portrait-robot de l’investisseur étranger

En 2015, une étude menée par Vinea, spécialiste de la transaction viticole, révélait que 2% du vignoble français était détenu par des investisseurs étrangers. Un chiffre estimé à 3% aujourd’hui par ce même cabinet, avec des investisseurs majoritairement européens (60% dont Britanniques, Belges, Allemands, Néerlandais, Suisses) suivis d’Américains, Chinois, Russes et autres nationalités.

En termes de région, la présence est marquée en Provence et à Bordeaux (90% des achats étrangers et près de 5% des surfaces détenues par des étrangers), Bordeaux intéressant exclusivement les investisseurs chinois arrivés dans les années 2010 alors que les transactions se ralentissaient pour les autres. Et historiquement, c’est aussi à Bordeaux et plus généralement dans le grand Sud-ouest qu’ont commencé les transactions internationales, puis en Provence, en Languedoc-Roussillon et dans la Vallée du Rhône. Bourgogne et Alsace sont réputées fermées et les autres vignobles, spécifiques comme la Champagne, ou trop petits comme la Savoie ou la Corse, n’avaient pas été étudiés. Depuis 2019, la tendance est au ralentissement, pour cause notamment de Brexit et de fermeture du marché chinois.

Quant aux motivations, elles sont, comme pour les acheteurs français, multiples : du projet d’une vie à la diversification (sectorielle ou géographique), de la passion pour la vigne une fois fortune faite dans d’autres métiers aux acquisitions dites d’ascension sociale. Mais avec souvent des moyens importants à la clef.

Entre-Deux-Mers : l’ère chinoise du Château de Sours

Parmi les nombreux rachats de domaines viticoles dans le Bordelais par des Chinois – pour lesquels Bordeaux reste le Graal -, certains ont tourné court en laissant parfois une trace amère et des vignes à l’abandon. Mais pas au Château de Sours. Acheté en 2015 par Jack Ma, fondateur d’Alibaba, ce domaine de l’Entre-Deux-Mers a, en moins de 10 ans, était restructuré, replanté, rénové, réorganisé. Et tiré vers le haut. Avec 200 hectares dont 60 de vignes en production (et encore 15 hectares en droit de plantation), le domaine mise sur l’agro-écologie et l’agroforesterie avec vaches, chèvres, vergers et pâturages et regorge de sources souterraines (Sours signifiant source en vieux français) sous le plateau calcaire.

La jolie demeure du Château de Sours - Crédits photos : Alexandra Foissac
La jolie demeure du Château de Sours - Crédits photos : Alexandra Foissac

Le vignoble bénéfice d’une mosaïque de terroirs et d’exposition au gré des collines de cet Entre-Deux-Mers vallonné et a été retravaillé pour monter en qualité, à l’image de la gamme des vins entièrement réinventée par Sébastien Jacquey, œnologue et directeur du domaine. Avec l’objectif de proposer des vins accessibles et dans l’air du temps tout en restant bordelais, le Château de Sours se décline désormais en 3 temps : Les Essences, Merlot gourmand et Sauvignon sur la fraicheur, une gamme identitaire baptisée Quarry (en référence aux carrières calcaires) en sélection parcellaire avec un élevage plus long et le haut de gamme MS sur une petite parcelle au nord, proposant un rouge (70% Petit Verdot), un pur Sauvignon et un effervescent en méthode traditionnelle.

Car les bulles sont à l’honneur à Sours, à travers un rosé vinifié en Charmat en entrée de gamme et un blanc de noirs dans la gamme Quarry. Pour vinifier tout cela, Sébastien Jacquey dispose d’un chai flambant neuf inauguré en 2022 : selon la volonté de Mr Ma, le parallélépipède minéral a été voulu performant, loin du chai d’archi en vogue dans d’autres domaines, mais il aligne les dernières innovations à grand renfort de tri optique, cuves tronconiques et autre robot qui pèse le raisin et remplit les cuves par gravité.

Les moyens ont été mis également pour mettre en valeur les magnifiques carrières de calcaires et rénover l’ancienne métairie, embellir la roseraie, s’ouvrir sur l’étang agrandi en contrebas. La propriété, pour l’instant privée et réservée à l’usage familial et professionnel de Mr Ma, pourrait s’ouvrir un jour à l’œnotourisme... A l’image de ces sentiers parfaitement recouverts de gravier blanc qui filent entre les vignes, parfaits pour des balades en VTT…

Nouveau cuvier et chai historique, d’importants moyens investis au Château de Sours - Crédits photos : Alexandra Foissac
Nouveau cuvier et chai historique, d’importants moyens investis au Château de Sours - Crédits photos : Alexandra Foissac

Contre-exemple : la renaissance du Clos-Belair

Mais parfois l’investissement étranger tourne court… Comme aux Domaines de l’Emissaire, 4 propriétés du Bordelais rachetées en 2022 par un duo français après une expérience chinoise malheureuse. Château Larteau (Bordeaux supérieur), La Tour Saint-Pierre (Saint-Emilion Grand Cru), Clos Bel-Air (Pomerol) et Sénilhac (cru bourgeois en Haut-Médoc) sont désormais pilotés par Pierre-Yves Rigaux et Denis Chazarain, 2 entrepreneurs passionnés de vin. Les domaines ont récupéré leurs noms après avoir été improbablement rebaptisés Lapin Impérial ou Antilope Tibétaine et ont été repris en main à la vigne et dans les chais. Ce qui donne une gamme de vins restructurée et optimisée et quelques vins atypiques comme ce Blanc de Noirs effervescent ou cet Aérial, esprit rosé provençal. L’œnotourisme, maison d’hôtes, visites et expériences diverses, y est de mise, avec la volonté d’incarner un certain art de vivre à la Française. Un art qui ne s’improvise pas visiblement…

Le Château de Belair - Crédits photos : Domaines de l’Emissaire
Le Château de Belair - Crédits photos : Domaines de l’Emissaire

Bergerac, un eldorado pour les investisseurs étrangers

Non loin de là, le vignoble de Bergerac semble avoir le vent en poupe pour attirer les investisseurs étrangers. De part et d’autre de la Dordogne, jouxtant quasiment le Saint-Emilionais, le vignoble de Bergerac en Dordogne compte des siècles d’Histoire, depuis l’ère gallo-romaine jusqu’à la Cour d’Angleterre et affiche de jolis paysages vallonnés et préservés. Regroupés avec les Côtes de Duras dans le Lot-et-Garonne, ils se divisent en différentes appellations, Bergerac en 3 couleurs, Monbazillac et Saussignac en vin liquoreux au sud et au nord de la Dordogne, Rosette en vin moelleux et Pécharmant en vin rouge et Montravel en 4 couleurs au nord-ouest. Si les cépages sont bordelais (avec un peu de Malbec, de Chenin et d’Ugni blanc en complément), l’ambiance y est différente, avec un culte de la discrétion hérité du protestantisme et une modestie qui cache quelques très grands vins. Et attise l’intérêt.

Fayolle et Monestié La Tour : un peu de Suisse à Saussignac

Comme le Château Monestié la Tour acheté en 1998 par un homme d’affaires néerlandais puis par la famille Scheufele (Chopard mais aussi le Caveau de Bacchus en Suisse) en 2012 qui en fait sa résidence secondaire. Le domaine viticole (31 hectares aujourd’hui) a été pionnier dans la conversion en bio et biodynamie (dès 2015), plantation de 600 arbres, installation géothermique, construction d’un nouveau cuvier… Et les vins, en AOC Saussignac, Bergerac et Côtes de Bergerac, et IGP Périgord sont régulièrement remarqués.
A Saussignac toujours, Frank et Riki Campbell ont racheté le très joli Château de Fayolle en mars 2019.

Riki et Frank Campbell au Château de Fayolle - Crédits photos : Château de Fayolle
Riki et Frank Campbell au Château de Fayolle - Crédits photos : Château de Fayolle

Un vieux rêve pour ce couple d’Américains, Riki étant par ailleurs diplômée de l’Ecole de Changins en Suisse. Parce qu’il n y a jamais de vignobles à vendre en Suisse, que Bordeaux et la Bourgogne étaient jugés trop saturés et que Bergerac a un grand potentiel de croissance et de reconnaissance, Riki et Frank ont eu un coup de cœur pour Fayolle, un château construit en 1498 et dôté d’une chapelle au retour des croisades du XVIème siècle. Depuis, la halle des tracteurs est devenue tasting room, avec coin enfants et espace brocante, les visites commencent avec une dégustation de Bulles du sanglier et de quelques autres vins de la maison, peuvent se faire en 4x4 pour découvrir la folie en ruine, la falaise calcaire ou l’ile aux ragondins ou encore se transformer en échappée pique-nique et pédalos sur un lac privé. Une approche oenotouristique globale et assez anglo-saxonne avec l’objectif de transmettre la passion des propriétaires à travers ce domaine.

Un accueil au château convivial au Château de Fayolle - Crédits photos :  Droits Déclic & Decolle
Un accueil au château convivial au Château de Fayolle - Crédits photos : Droits Déclic & Decolle

De Saint-Cernin au Limouxin et Les Verdots : une passion viticole islandaise

J’adore la France et les vins français mais il y a tant de frontières d’appellations trop strictes et compliquées à comprendre ! Et je ne comprends pas pourquoi tant de terroirs sont sous-évalués. Pourquoi irais-je produire à Bordeaux alors que je peux faire aussi bon, voire bien mieux à Bergerac ? affirme Robert Wessman, fondateur de sociétés de biotechnologies en Islande, qui a acheté à Bergerac le Château Saint-Cernin dans les années 2000 puis le vignoble des Verdots (45 ha) en 2021 et le Clos Maine Chevalier (15ha) et qui est aussi propriétaire de 30 hectares dans le Limouxin. Mon investissement dans le vin a d’abord été un projet personnel avec l’objectif de produire un grand vin rouge pour ma famille, mes amis, collègues et clients. Nous avons commencé à produire 3000 bouteilles en 2016 sur les 1,54 hectares de Saint Cernin et 5 ans après, j’avais acheté 105 ha ! Le projet passionnel s’est donc rapidement transformé en projet professionnel ! s'enthousiasme
l’homme d’affaires qui veut produire des vins de plaisir, intéressants voire amusants.

Comme cette cuvée La folie qui alliait de la Syrah Méditerranéenne à du Merlot Atlantique et s’est vendue comme des petits pains. Cette année, je vais assembler des vins rouges produits à Bergerac avec du Tempranillo de la Rioja et du Sangiovese d’Ombrie, j’ai invité une quarantaine de clients à faire l’assemblage avec moi. Nous avons essayé des assemblages avec des vins chiliens et argentins. C’était délicieux et passionnant mais malheureusement, on ne peut pas légalement faire cet assemblage de vins produits hors-UE en France. Le développement des Vignobles Wessman (120 hectares au total en France) s’oriente désormais sur le négoce et l’œnotourisme au Verdots, avec une cave rénovée et une rivière souterraine unique au monde.

Castigno, pionnier du slow-œnotourisme

C’est en Languedoc, au cœur de l’appellation Saint-Chinian que Marc Verstraete a racheté en 2007 un château du XIIème siècle de l’Ordre des Chevaliers de Malte à Assignan ainsi que 30 hectares de vignes âgées de 50 à 120 ans.

Le village d’Assignan transformé en paradis oenotouristique - Crédits photos : Alexandra Foissac
Le village d’Assignan transformé en paradis oenotouristique - Crédits photos : Alexandra Foissac

De cette bâtisse en ruines et du village abandonné, cet ancien industriel belge a fait un lieu unique, dirigé depuis 2021 par Clément Mengus, œnologue. Castigno fait l’apologie du slow tourisme, version oeno, sur fond de vignes à perte de vue et de digital detox et en inventant le concept inédit d’hôtel éclaté. Les 24 chambres sont en effet réparties dans la Maison des Amis et dans les maisons du village restaurées en suites atypiques. Au fil des ruelles, on découvre aussi la Table (1 étoile au Michelin), un Bistrot, un restaurant thaï, une micro-brasserie. Le vignoble est en agriculture biologique et biodynamique, les vins sont blancs, rouges, rosés, oranges et effervescents et le chai impose sa silhouette bouteille de vin géante recouverte de liège comme posée en lévitation au-dessus des vignes. Atypique et mémorable.

L’atypique chai de castigno en surplomb des vignes de Saint Chinian - Crédits photos : Alexandra Foissac
L’atypique chai de castigno en surplomb des vignes de Saint Chinian - Crédits photos : Alexandra Foissac

De la Provence au Douro : le petit empire oenotouristique de Philippe Austruy

Philippe Austruy, entrepreneur français du secteur de la santé, s’est pris de passion pour le vin. Au point de constituer, non pas une cave d’exception, mais une collection de vignobles. Tout commence en Provence en 2001 avec l’achat de la Commanderie de Peyrassol suivi, entre 2012 et 2024 par l’acquisition de domaines dans le Bordelais, en Italie et au Portugal. Les projets sont accompagnés et validés par Stéphane Derenoncourt qui étudie le potientiel vini-viticole. A chaque fois, il s’agit de lieux avec une personnalité forte, de destinations inspirantes, de vins d’excellence avec la volonté de réveiller de belles endormies grâce à un investissement financier et humain conséquent. Comme à la Quinta da Corte, petit bijou viticole et oenotouristique de la vallée du Douro.

La Quinta da Corte - Crédits photos : C. Goussard
La Quinta da Corte - Crédits photos : C. Goussard

Epoustoufflé par la beauté d’un paysage exceptionnel et convaincu par ce terroir entièrement classifié A par l’Institut des Vins de Porto, Philippe Austruy a mené des travaux très importants, avec notamment la construction d’une nouvelle cave pour les vins secs et la rénovation signée de l’architecte designer Pierre Yovanovitch de la demeure devenue maison d’hôtes. Au final, la Quinta da Corte propose une expérience unique, hors du temps, dans une quinta à la fois authentique et raffinée. 8 chambres de charme, des petits salons et bibliothèques où se poser, un petit-déjeuner délicieux, une vaste cuisine avec cheminée monumentale en azulejos et une terrasse ombragée accueillant la table d’hôtes, sans oublier la superbe piscine à débordement avec vue sur les vignes : le cadre et l’ambiance sont enchanteurs et donnent envie de s’attarder. Le temps aussi d’une visite et dégustation dans le nouveau caveau ou d’une expérience oenotouristique allant des vendanges à l’assemblage en passant par une randonnée ou une croisière sur le Douro. La passion du propriétaire crée en tout cas des moments d’exception pour les visiteurs d’un jour ou d’un séjour.

La salle à manger de la Quinta da Corte, entre authenticité portugaise et art de vivre à la Française - Crédits photos : JF Jaussaud
La salle à manger de la Quinta da Corte, entre authenticité portugaise et art de vivre à la Française - Crédits photos : JF Jaussaud

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