
Dérèglement climatique et conditions de travail dans les vignes : l’urgence invisible

La rudesse du travail agricole a toujours fait partie du quotidien des vignerons et des saisonniers. Mais depuis quelques décennies, le dérèglement climatique vient exacerber les difficultés. Chaleur excessive, déshydratation, épuisement et risques accrus pèsent désormais sur les épaules de ceux qui façonnent les vins. Une réalité qui soulève une question urgente : comment adapter la filière à ces bouleversements ?
Dérèglement climatique : quand la vigne souffre…
Le dérèglement climatique ne fait plus débat : augmentation des températures moyennes, accroissement du nombre d’incidents climatiques, sécheresses extrêmes… L’impact sur le matériel végétal est conséquent, et les vignerons doivent s’adapter. Ils plantent de nouveaux cépages, avancent les dates de vendange, ajustent les périodes de taille… La filière ne se laisse pas abattre !

Il est néanmoins un volet dont on parle encore trop peu : celui de l’impact du dérèglement climatique sur la santé des travailleurs de la vigne. L’étude Clisève, menée après de 129 vignerons, 134 salariés et 338 saisonniers par Croissance Bleue et Lapa-Research, révèle que 92 % des professionnels du secteur reconnaissent l’urgence d’agir, qu’ils soient vignerons ou saisonniers.
… les vignerons et les saisonniers aussi !
Les fortes chaleurs sont devenues un facteur clé de renoncement au travail. 85 % des saisonniers admettent qu’ils pourraient abandonner leur poste en raison des conditions climatiques. Une donnée qui prend tout son sens quand on sait que 25 % d’entre eux ont déjà vu des collègues s’évanouir en plein travail.
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Pourtant, ces conditions ne concernent pas seulement les vendanges : 73 % des travailleurs interrogés constatent des impacts tout au long de l’année, des tailles hivernales aux traitements estivaux. Les vignerons eux-mêmes ne sont pas épargnés, bien qu’ils aient une plus grande autonomie pour ajuster leurs pratiques, et un engagement plus fort vis-à-vis de leurs vignes.
D’après l’étude, ils seraient 43 % à envisager de quitter la filière d’ici cinq ans, incapables de supporter les nouvelles contraintes imposées par le climat, soit près de la moitié des interrogés (64 vignerons ndlr).
Conditions de travail dans les vignes : des symptômes qui ne trompent pas
L’étude met en lumière les effets concrets du dérèglement climatique sur la santé des travailleurs :
● 50 % des saisonniers souffrent de maux de tête chroniques liés à la chaleur (contre 30 % des vignerons)
● 26 % rapportent des vertiges réguliers
● 12 % évoquent nausées et vomissements, signe d’un épuisement sévère
● 30 % des travailleurs (saisonniers et vignerons confondus) souffrent de déshydratation

Le manque d’accès à l’eau est une problématique récurrente : 41 % des saisonniers signalent ne pas toujours avoir de l’eau potable disponible, un chiffre alarmant quand on sait qu’une unique exposition trop prolongée à la chaleur suffit pour entraîner des troubles graves.
Travailleurs saisonniers : un statut précaire qui aggrave la situation
L’un des enseignements majeurs de l’étude est la différence de vulnérabilité entre vignerons et saisonniers. Ces derniers, souvent employés sous contrat court, sont plus exposés aux risques climatiques. Un quart des saisonniers subissent une polyexposition aux risques chimiques et infectieux, conséquence de l’utilisation de produits phytosanitaires et des conditions de travail en extérieur.

Le statut précaire des saisonniers les pousse aussi à accepter des conditions difficiles. Contrairement aux vignerons, qui peuvent adapter leur emploi du temps ou mécaniser certaines tâches, les saisonniers doivent souvent travailler aux heures les plus chaudes, faute d’alternative.
Des solutions encore insuffisantes
Face à ces constats, que fait la filière viticole ?
Malheureusement, les mesures de prévention restent insuffisantes. Deux tiers des travailleurs interrogés n’ont jamais discuté du sujet avec leur employeur et n’ont pas connaissance d’un plan d’action spécifique pour gérer les risques climatiques. Et ce, alors même que la prise de conscience des risques liés au travail de la vigne s’améliore, notamment suite aux mortelles vendanges de 2023 (6 saisonniers étaient décédés en une semaine). L’un de ces décès, celui d’un jeune homme de 19 ans, avait été imputé à la chaleur.
L’instauration d’un seuil de température au-delà duquel le travail serait interdit fait débat : 66% des professionnels y sont favorables, avec un premier palier envisagé à 35°C.
Vers une mobilisation collective ?
L’étude Clisève met en évidence une “communauté d’expérience” entre vignerons et saisonniers, tous confrontés à ces défis climatiques. En partenariat avec la CFDT agri-agro, elle propose la mise en place des mesure de prévention suivante :
● Instaurer des normes sociales adaptées, avec des temps de pause réglementés et un accès garanti à l’eau potable
● Mieux informer et former les travailleurs sur les risques climatiques et les gestes de prévention
● Intégrer les risques climatiques aux politiques de santé et de sécurité au travail (SST)
● Encourager des solutions technologiques et organisationnelles pour limiter l’exposition directe aux fortes chaleurs
Le dérèglement climatique ne menace pas seulement la qualité du vin, mais aussi ceux qui le produisent. L’avenir de la filière passera par une adaptation rapide et efficace. Il serait dommage d’avoir recours à la contrainte réglementaire pour mettre en place des normes qui relèvent pourtant du bon sens, mais il serait encore plus dommage d’essuyer davantage de décès.
La filière viticole peine à recruter, notamment dans le Bordelais, et l’amélioration des conditions de travail pourrait bien sûr permettre de redynamiser l’emploi viticole.
Images générées par Midjourney
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