
Carignan gris : le diamant rare du Roussillon

Vous connaissez sûrement le rouge, peut être le blanc mais le gris ? Endémique des Pyrénées-Orientales, le Carignan gris est à nouveau travaillé par des vignerons qui ont un coup de cœur pour son caractère racé, sa bouche totalement atypique et sa confidentialité. Balade à sa rencontre.
Lorsque j’arrive chez Mireille Ribière, vigneronne installée au sud-est de Perpignan, très attachée aux vieux cépages de sa région, on en parle presque tout de suite : Par rapport à l’histoire de ce domaine, j’aimerais planter dans un futur proche du Carignan gris, du Cinsault Lledoner Pelut.
Du Carignan gris ? Mazette ! Jamais entendu parler.
Il faut attendre le lendemain, en rencontrant Fabrice Rieu de la Maison Albera qui en a fait son cépage chouchou pour comprendre qu’on est face à un vrai sujet. Devant la parcelle, le ton devient plus émouvant : Voilà la parcelle de Carignan gris, un cépage très spécial qui n’est réapparu dans la liste des possibles qu’en 2018.
En effet, avant cela, il n’apparaissait pas dans le menu déroulant lorsque le vigneron devait faire la déclaration de ses plantations.

En montant sur les hauteurs pour le déguster avec vue, la bouteille est ouverte avec le soleil de 11 heures. La cuvée se nomme : Carignan gris le cépage rarissime. Fabrice Rieu reprend : je cherchais des parcelles parce que j’avais entendu que c’était un cépage qui avait une trame franche, droite, minérale et qui ne ressemblait à aucun autre. Il n’était plus planté depuis plusieurs dizaines d’années probablement car il ne concentrait pas suffisamment en sucres. Avec le dérèglement climatique, la maturité tardive est devenu un vrai avantage.
A la première gorgée, la surprise est immense : un arôme unique tendant presque vers les notes pétrolées qui déploie pourtant une fraîcheur gourmande.
A l’heure actuelle, et selon les millésimes, la maison Albera produit entre 3000 et 5000 bouteilles de Carignan gris ce qui lui laisse toute la rareté nécessaire pour être convoité. La journée se poursuit avec l’intuition d’avoir un goût jusque là inconnu en bouche et la curiosité de pousser la recherche. En rencontrant Luc Richard au Domaine de Riberach, l’intérêt pour ce cépage méconnu se confirme. Il ouvre Hypothèse, un 100% Carignan gris qui provoque les émotions des bouteilles qu’on ne reboira pas de si tôt : On a eu de la chance que le grand-père qui avait le domaine avant ai été très têtu en refusant d’arracher au moment où tout le monde le faisait. On a récupéré 75 arrhes sur des vieux schistes bruns puis replanté 50 arrhes. En le vinifiant de façon parcellaire, j’ai tout de suite compris que c’était totalement atypique et que c’était absurde de l’assembler.

Car le Carignan gris ne s’adapte pas à tous les climats et le Roussillon semble particulièrement propice à en extraire la quintessence : C’est un cépage qui n’est prêt souvent qu’après les tempêtes post équinoxes (fin septembre) donc la récolte devait, à l’époque, se perdre facilement.
explique Luc. Du soleil on en a plus qu’il n’en faut mais on a aussi la fraîcheur nocturne, des amplitudes thermiques énormes qui lui permettent de s’épanouir. A part dans notre région, je crois qu’il y en a un peu en Ardèche où il se ramasse presque en novembre. C’est sans doute le vignoble du Carignan gris le plus au nord de notre pays !
Fabrice Rieu confirme son implantation anecdotique et très ciblée : De mémoire au niveau national, je crois qu’il ne recensait que 40 hectares. Les pépiniéristes se sont mis à retravailler les plants mais ça ne se replante qu’à coup de 3 ou 4 hectares par an. Il lui faut des années pour sortir le meilleur de lui-même. Le Carignan gris travaillé sur un terroir qui ne lui va pas donne quelque chose de très léger et sans identité. Il a besoin d’un endroit singulier pour apparaître très racé et avec des tanins pourtant très fins.
A la dégustation, il rappelle parfois la Loire et le Jura. Cela en est troublant mais très bien analysé par Luc : C’est une pompe à terroir. On sent plus l’expression des sols que du cépage lui même. Il s’efface donc, rappelle les sols caillouteux et cette minéralité très prononcée. C’est ce qui nous plaît. De savoir davantage d’où ça vient que, avec quoi c’est fait.
Le cépage diamant a retrouvé ses lettres de noblesse en étant vinifié sur un long terme car il nécessite cette patience de la vendange à l’ouverture de la bouteille : un an en barrique puis deux trois ans en bouteille avant d’être commercialisé chez Luc : Si il est mis en bouteille et bu trop tôt il a une acidité électrisante comme une décharge. On passe à côté si on ne lui accorde pas le temps de déployer cette acidité vibrante et de trouver sa plénitude.
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