
Armagnac, de l'eau-de-vie à l'art de vivre

L’hiver est propice à un bon Armagnac au coin du feu. Mais en Gascogne, c’est la flamme de l’alambic qui brûle de novembre à février, au cœur des chais gersois et landais, distillant les vins de Folle Blanche, Baco et Ugni Blanc, première étape de l’élaboration de la plus vieille eau-de-vie de France. 700 ans d’Histoire, pas moins, un savoir-faire inimitable, des traditions bien ancrées et un breuvage incomparable (et qui n’a rien à envier à son cousin Cognac).
L’Armagnac, Histoire et territoire
Née du croisement de 3 cultures – Romains qui introduisirent la vigne, Arabes qui amenèrent l’alambic et Celtes qui introduiront le fût – l’Armagnac étend son empire sur 2 départements, Gers et Landes et même un peu de Lot-et-Garonne mais surtout sur 3 territoires : le Haut-Armagnac à l’est et au sud, le Bas-Armagnac à l’ouest et au milieu le Ténarèze. D’Auch et Lectoure jusqu’à l’Adour en passant par Condom, Nérac, Vic-Fezensac, et la multitude de petits villages et bastides dont le nom revendique ce comté historique de l’Armagnac. Et c’est à Eauze, autoproclamée capitale de l’Armagnac
, que Maître Vital Dufour, prieur du village, dotait l’Aygue ardente
de 40 vertus dans son Livre très utile pour conserver la santé et rester en bonne forme
publié en 1310.

Entre paysages et traditions : zoom sur l'Armagnac
Pays du French Paradox, la Gascogne incarne un certain art de vivre entre gastronomie de terroir et traditions bien conservées. Canard, garbure et croustade, chants en patois et Armagnac lors des veillées au pied de l’alambic dans les chais encore souvent en terre battue ou au cours d’une soirée d'un de ces chauds étés gascons. L’art de vivre gascon se transmet, se revendique et se partage, l’amour étant, c’est bien connu, dans le chai. Il y a des prés aussi, des collines et des forêts, des vignes et de la polyculture et, en guise de skyline, les Pyrénées ou la pinède landaise. C’est donc dans ce décor rural et cette ambiance authentique que l’Armagnac - mais aussi le Floc de Gascogne (mélange de moût de raisin et d’Armagnac) et les vins sous IGP Côtes de Gascogne – écrivent leur histoire, d’hier à aujourd’hui.

3 terroirs, 4 cépages et une distillation en simple chauffe
AOC délimitée par 3 aires de production, l’Armagnac nait sur les boulbènes et sables fauves du Bas-Armagnac, les sols essentiellement calcaires du Haut-Armagnac et un Ténarèze à dominante argilo-calcaire. 4 cépages majoritaires, les classiques cépages de distillation Folle Blanche et Ugni Blanc, le Colombard et l’emblématique Baco, un cépage hybride, singulier et d’intérêt tant aromatiquement qu’ampélographiquement, composent le vin blanc qui sera distillé ensuite sur le traditionnel alambic armagnacais. Celui-ci se distingue de l’alambic cognacais, par sa distillation continue et à colonne. C’est en effet par une distillation en simple chauffe que l’Armagnac est produit alors que le Cognac est distillé 2 fois dans un alambic à repasse. L’Armagnac reste un produit artisanal, élaboré avec patience dans de petites propriétés souvent familiales et ancestrales.

Un Armagnac, des Armagnacs : du VS à la Blanche en passant par le Hors d’Age
Comme le Cognac et d’autres spiritueux, une classification, simplifiée en 2010, permet de distinguer différentes catégories d’Armagnac. Le VS est gardé minimum un an en fût tandis que le VSOP doit vieillir sous bois minimum pendant 4 ans. Et minimum 10 ans pour le XO ou Hors d’Age, réalisé lui aussi par assemblage de différentes eaux-de-vie d’âge différents. Spécificité armagnacaise, les “millésimes” désignent un Armagnac qui a également passé minimum 10 ans en fûts et mentionnent l’année de vendanges. On trouve encore quelques trésors qui ont plus de 100 ans… Certains domaines proposent également des cuvées “fût unique” et des “bruts de fût” commercialisés au degré naturel obtenu par (généralement long) vieillissement entre 40 et 48°.
Avec des couleurs du doré à l’acajou et une aromatique allant du fruité allié au fil du temps à des notes d’épices, de boisé, de pâte de coing pour se complexifier au fil du temps vers le cacao, le pruneau et les fruits secs, l’Armagnac révèle une grande complexité et se suffit souvent à lui-même. Mais les plus jeunes et la Blanche d’Armagnac, qui désigne l’eau-de-vie non passée sous bois, cristalline et aux arômes floraux et fruités, s’invitent aussi depuis peu dans la mouvance mixologie.
Blanche, bio, finish : quand l’Armagnac innove
Ancestral et très ancré sur ses traditions, l’Armagnac se réinvente. Comme avec l’obtention en 2005 de l’AOC pour la Blanche d’Armagnac : fin novembre dernier, le concours annuel des Talents de l’Armagnac a d’ailleurs décerné pour la première fois son “Grand Or” et le “Coup de cœur du Jury” à une Blanche, la 100% Baco du Château Millet.

Autre innovation : des “finish” originaux comme chez Darroze qui propose une gamme “Borderline” avec passage en fûts de Sauternes, de Rivesaltes ou de Porto. Laubade propose aussi son Enchanteur 2010 vieilli en fûts de Doisy-Daëne, second grand cru classé à Barsac ou un “Agricole” vieilli en fût de rhum. La mouvance bio signe une autre évolution avec par exemple le lancement d’Armagnacs bio comme chez Targuerie avec 3 cuvées 100% Baco, 100% Colombard et 100% Ugni Blanc labellisés bio.

Le Domaine Delord, autre grand nom de l’Armagnac depuis 1893, a aussi réalisé sa première distillation en bio et innove actuellement avec des cuvées mono parcellaire, mono cépage, mono alambic et mono tonnelier. Au chai mais aussi à la vigne avec la replantation de 4 hectares de plan de graisse, un cépage oublié
local. Et comme ailleurs, une jeune génération de vignerons, néo ou souvent héritiers d’une longue tradition, amènent également une vision et des envies différentes, contribuant à l’évolution de cet Armagnac resté très artisanal et confidentiel.

Spiritourisme : tout l’art de vivre gascon
Mais l’Armagnacais se dévoile peu à peu, notamment par le biais de
l'œno-spiritourisme. A l’image des Routes de l’Armagnac lancées dans les Landes en 2025 pour une immersion au cœur de l’Histoire et de l’actualité du breuvage gascon : 5 escapades permettront de découvrir l’Armagnac au féminin
, les Chais à la ferme
, les Châteaux et belles Demeures
, les Belles Collections
car nombreux sont les domaines qui conservent de très vieux millésimes dans des pièces (nom des fûts de chêne de 400 litres) ou bouteilles bien cachées au fond de leurs caves. Un parcours Les 100 kilomètres de l’Armagnac
proposera aussi dès ce printemps une traversée au fil des belles bastides, de la convivialité et des savoir-faire locaux.
Les domaines rivalisent aussi de propositions pour savourer l’art de vivre gascon, en toutes saisons, et découvrir Armagnac, Floc et Côtes de Gascogne.
Dans les Landes toujours, le Domaine Laballe incarne bien ce double visage entre héritage et réinvention : Cyril Laudet, 8ème génération, a repris le domaine familial et les outils de son grand-père, restauré un alambic de 1947 mais il bouscule allégrement les codes. Les étiquettes de ses Armagnacs arborent un graphisme contemporain tout en racontant l’histoire de cette eau-de-vie unique : Résistance est un 100% baco à l’effigie de l’insecte ravageur à l’origine de la crise du phylloxera, Exode XIV est un pur Ugni blanc, cépage arrivé au XIVème siècle et Eau de Vie est un hommage à la Folle blanche, cépage historique et sensible qui offre des vendanges hétérogènes. Le domaine a ouvert une jolie boutique jouxtant et lorgnant sur le chai, propose des visites où l’on découvre le savoir-faire mais aussi les paysages et la chapelle du domaine et organise des repas et soirées réputées festives, notamment autour de l’alambic.
A Mauvezin d’Armagnac, le Domaine de l’Espérance (une jolie chartreuse et 50 hectares dédiés à l’Armagnac et aux vins blancs, rouges et rosés) propose un gîte dans une ancienne métairie, une Ecole de cuisine et pour 2025, des ateliers Assemblage d’Armagnac pour créer son propre nectar. Encore landais mais tout près du Gers, le Domaine Marquestau est une histoire de copains qui, eux aussi, se réapproprient leur vision de l’Armagnac. Avec un 100% Baco encore, cépage de plus en plus dans l’air du temps car peu sensible aux maladies, mais aussi des breuvages plus inattendus comme un Clandestino, à base d’Armagnac, de sucre d’agave et de vanille de Madagascar. A déguster, avec les vins du domaine, lors des roboratifs brunchs du dimanche à L’Etable, un restaurant ouvert sur le domaine ou du festival Vaca Rosa au printemps, DJ, cocktail et côte à l’os.
Côté Gers, le Château de Laubade est un des gros acteurs de l’appellation avec un domaine familial exclusivement dédié à l’Armagnac mais aussi à la passion pour l’art contemporain des propriétaires.

La jolie demeure du XIXème siècle accueille donc des résidences d’artistes et des sculptures et installations égayent le parc du château que les visiteurs sont invités à découvrir lors d’une visite Grande Dégustation
. Chez Delord, des visites de chai et dégustation sont proposées tous les jours pour découvrir cette maison réputée.
Le Domaine de Joy a lancé fin 2024 son activité œno-spiritouristique. Ce domaine familial avec vue sur les Pyrénées propose des journées avec dégustation et initiation aux activités viti-œnologiques (vendanges, cours d'œnologie,...) mais aussi jeu de piste, chasse aux œufs, soirée blanche ou randonnées dans les vignes, sans oublier une offre séminaire pour les professionnels.
Au Château de Millet, Laurence Dèche, 5ème génération et vigneronne de père en fille accueille également le public pour partager sa passion : des déjeunes et dîners en musique au pied de l’alambic au moment de la distillation, des ciné-concerts en été mais aussi des expositions toute l’année au dessus du caveau et un gîte dans l’ancien pigeonnier. Un point de chute idéal pour découvrir Eauze. Plus à l’est, dans le moins connu Haut-Armagnac, le Château d’Arton propose aussi différents formats de visites pour découvrir un domaine niché au milieu des collines et d’une nature préservée. Repas distillation, marché de producteurs et cocktail en blanc rythment également l’année de cette maison dynamique.

La Flamme de l’Armagnac : un moment chaleureux et authentique
Temps fort de l’année armagnacaise, la distillation est un moment symbolique et chaleureux au cœur de l’hiver. Pour vivre ces moments uniques et typiques, l’évènement “La Flamme de l’Armagnac”, allusion à la flamme de l’alambic, invite le public à parcourir les chais et les villages entre fin octobre et février quand les domaines distillent. Quelques villages, notamment Labastide d’Armagnac ou Eauze, célèbrent chaque année ce temps de la flamme, qui passait dans l’ancien temps de villages en villages avec les bouilleurs de cru, et proposent dégustation et repas très gascons. Et de nombreux domaines invitent le public à venir savourer la gastronomie locale au cours de longs repas au pied de l’alambic, ambiance et degrés assurés ! En goûtant au traditionnel brûlot, breuvage inimitable élaboré avec le distillat mélangé à du sucre et parfois des oranges, citrons et épices, lentement remué et dégusté chaud ou tiède, quand la flamme s’éteint dans le chaudron de cuivre. Authentique et savoureux !

Pour des accords mets et vins avec l'Armagnac, vous pouvez vous inspirer notre recette de pintadeau à l'Armagnac qui saura régaler vos convives !
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