
La bordelaise Chloé Cazaux Grandpierre remporte la 1ère édition du Saké Master

Le 29 septembre dernier, au cœur du Whisky Live Paris à la Grande Halle de La Villette, une quarantaine de concurrents professionnels se sont affrontés lors du premier concours de dégustation et service dédié au saké, organisé par le Whisky Live Paris et Kura Master. La bordelaise Chloé Cazaux Grandpierre, saké sommelière, saké educator et shochu & awamori advisor, fondatrice du restaurant japonais OBA à Bordeaux, l’a emporté. Nous l’avons rencontrée pour recueillir ses premières impressions.
Laura Bernaulte : Chloé, tu es une professionnelle multi-casquettes. Peux-tu te présenter à nos lecteurs s’il te plaît ?
Chloé Cazaux Grandpierre : Je m'appelle Chloé Cazaux Grandpierre, j’ai 38 ans. A la base, j’ai fait un cursus en école de commerce. J'ai découvert le monde du vin lors de mon stage de fin d’études chez le négociant bordelais Cordier Mestrezat Grands Crus. Ensuite, j'ai travaillé au château Suduiraut, à Sauternes, puis je suis revenue chez Cordier avec l’objectif d’obtenir un poste de brand-ambassador. Mais les places étant très chères et la moyenne d’âge étant bien plus élevée que la mienne, je n’ai pas réussi à trouver mon métier de rêve. J’ai donc décidé de le créer, et j’ai lancé en 2012 le blog Chloé and Wines, puis en 2013 ma micro-entreprise éponyme. C’est d’ailleurs la même année que j’ai découvert le saké japonais, et que j’ai décidé de m’y intéresser en parallèle au vin. En 2017, ma société a grossi, j’ai créé la SARL C&W Experiences, comprenant 2 entités : Chloé and Wines, plutôt orientée vins et spiritueux, et Otsukimi - Buveurs de lune, plutôt tournée vers le saké et les alcools japonais. Ces 2 entités englobent 3 activités principales. La première est la promotion du vin, des spiritueux, du saké, avec des conférences et des wine-tours, car j'ai également fait beaucoup d'œnotourisme. La deuxième est la formation et l'éducation, à travers les cours que je donne dans diverses écoles, et grâce à la rédaction d’articles pour le magazine Vert de Vin. La troisième est la vente, en particulier via Otsukimi, qui est aussi une boutique en ligne, sur laquelle je vends du saké, du shochu et de l’awamori. Je suis par ailleurs associée dans la société OBA, lancée avec Patrick Herreyre, qui comprend le restaurant japonais OBA, ouvert en février dernier à Bordeaux, dans le quartier Saint-Pierre, et propose une belle sélection de sakés, ainsi que du vin, bien sûr. J’ai aussi écrit un livre sur le saké japonais, intitulé 111 sakés à ne pas manquer
, et je suis en train de rédiger 111 vins de Bordeaux à ne pas manquer
. Enfin, depuis un peu plus d’un an, je sors mensuellement un épisode du podcast Kome
, autour du saké, des alcools japonais et de la culture gastronomique nippone, toujours en lien et en comparaison avec la France. C’est assez pointu pour l’instant, mais dans les prochains mois, je compte faire évoluer le format pour le rendre plus accessible.

LB : Tu as évoqué ta découverte du saké japonais, en 2013. Comment t’es-tu prise de passion pour cet alcool ?
CCG : Tous les deux ans, lorsque je participais à Vinexpo Bordeaux, j'assistais à des conférences sur des alcools que je ne connaissais pas, peu, ou desquels j’avais une image défavorable. Cette année-là, je m’étais inscrite à des conférences sur la tequila, le mezcal et le saké japonais. J’avais déjà depuis longtemps une appétence pour la culture japonaise, mais j’ai vraiment fait une redécouverte du saké à ce moment-là. Ca a été une claque, car jusque-là, je pensais que le saké était seulement un alcool fort servi en fin de repas dans un restaurant asiatique, que l’on boit cul sec dans un petit verre avec une femme nue au fond ! Le lendemain de cette conférence, je me suis inscrite à une autre conférence sur les grandes maisons de saké, et je me suis mise à rechercher des formations sur le sujet. C’est un peu ma maladie, j'adore les formations ! A l’époque, il y en avait peu : seulement une école en Europe basée à Londres, avec deux personnes détachées qui proposaient la formation en France. En 2014, je l’ai suivie et suis devenue saké sommelière.
LB : Peux-tu rappeler succinctement à nos lecteurs les fondamentaux du saké japonais ?
Le saké est l'alcool national japonais. En japonais, son nom est nihonshu, nihon signifiant Japon et shu signifiant alcool. C'est un produit historique et une boisson culturelle extrêmement importante, comme le vin, le saké ayant plus de 2000 ans. C’est un peu, entre guillemets, un vin de riz, puisque c’est une boisson fermentée à base de riz. Concrètement, le riz est mis en présence du micro-organisme koji, moisissure aussi utilisé pour créer la sauce soja, le vinaigre de riz, le miso, le shochu ou l’awamori. Le koji transforme l'amidon du riz en glucose, avant une fermentation alcoolique classique, avec des levures qui convertissent le sucre en alcool. On a l'habitude de dire que dans le vin, 90% de la qualité du vin provient du raisin et 10% du winemaker. Dans le saké japonais, c'est l'inverse. 90% de la qualité du saké vient du savoir-faire de celui qui le produit, et 10% des ingrédients. Comme pour le vin, il y a donc une grande diversité de sakés. En plus de la centaine de riz à disposition, il y a aussi le choix de l’eau utilisée dans le processus, et les différentes méthodes de production, traditionnelles ou plus modernes. Il est possible de passer le saké en barriques de cèdre, mais c'est plutôt rare aujourd'hui, de le filtrer ou non, de le pasteuriser une ou deux fois avant la mise en bouteille, ou pas. Il est aussi possible de créer des sakés pétillants, par ajout de gaz, en cuve close ou en méthode champenoise. Il y a des sakés vieillis secs ou sucrés, des sakés sucrés et vieillis.
Le saké est un produit qui est éphémère pour les Japonais. Traditionnellement produit en hiver, il sort en général en mars-avril pour la fête des cerisiers. A l’inverse de certains vins, ce n’est pas un produit qui va se bonifier en cave. C’est plutôt un produit prêt à boire.
LB : Venons-en à ta grande actualité du moment. Il y a peu, tu as remporté la 1ère édition du Saké Master. Quelques semaines après ton sacre, quel est ton ressenti ?
CCG : C'était vraiment un challenge pour moi au départ. Ca fait 11 ans que j’officie dans l’univers du saké, je suis saké sommelière depuis 2014, saké educator depuis 2016, shochu & awamori advisor, j’ai une petite réputation dans cet univers, mais j’ai encore un énorme syndrome de l’imposteur ! Dès l’instant où je me suis inscrite à cette compétition, ça a généré beaucoup de pression pour moi, d’autant que je n’avais jamais participé à un concours avant et que j’étais confrontée à une quarantaine d’autres candidats, sommeliers ou membres du secteur cafés-hôtels-restaurants, dont certains sont de véritables bêtes à concours. Cette victoire, qui m’a également permis de remporter un voyage professionnel au Japon à la rencontre des producteurs et à la découverte des terroirs du saké, c’est une surprise et beaucoup d'émotion. Je ne suis même pas encore bien sûre de réaliser !

LB : Peux-tu expliquer à nos lecteurs plus en détails en quoi consistait ce concours ?
CCG : La première épreuve était un QCM de 100 questions sur le saké japonais, dont certaines ultra-pointues, que ce soit sur la production, l'économie, les traditions, les préfectures, les styles… A l’issue de cette épreuve, nous étions 10 demi-finalistes à nous affronter dans une épreuve d’éloquence, avec un sujet tiré au sort sur scène, cinq minutes pour le préparer en loge puis trois minutes pour le présenter au public et au jury (NDLR : composition du jury plus bas dans l'article). Enfin, nous étions trois en finale, la sommelière Julia Scavo, le chef sommelier du restaurant Vaisseau (Paris) Jean-Baptiste Bosc, et moi. Il y avait trois épreuves en une. Une dégustation à l’aveugle de quatre sakés, avec commentaire de dégustation, style, accord mets-saké, température de service, verrerie, et si on le pouvait, la préfecture et le producteur. Une deuxième autour de huit sakés à déguster, bouteilles visibles, avec des accords avec des bouchées salées et sucrées, et une proposition d'accords et de services. Et enfin, une dernière épreuve de simulation, en nous glissant dans la peau d’un producteur de saké, pour voir quel type de saké on produirait et pourquoi. Pour avoir déjà assisté au concours de meilleur sommelier du monde, le Saké Master était lui aussi costaud !
LB : Dans l'univers du saké, y-a-t-il beaucoup de femmes ou est-ce plutôt l’exception ?
CCG : Ce n’est pas très courant, la présence des femmes n’est pas traditionnelle dans le saké. Mais le peu qui sont présentes à des niveaux élevés, principalement des Japonaises, sont très douées ! Au Japon, peu de femmes en produisent. Certaines sont propriétaires de maisons de production, mais ce sont leurs maris qui assurent la production. En France, il n’y a que quatre Saké samouraïs
, un titre honorifique attribué par des producteurs au Japon, et ce sont tous des hommes. Parmi les importateurs en revanche, il y a pas mal de femmes japonaises. Et lors du concours, les femmes étaient assez bien représentées.
LB : Après cette victoire au Saké Master, quels sont tes nouveaux challenges ?
CCG : Je vais passer une formation sur la bière, un univers qui a de nombreux liens avec celui du saké. Sinon, outre la rédaction de mon livre sur Bordeaux et le maintien de mes collaborations actuelles, je n’ai pas d’autre gros projet déjà enclenché. J'aimerais bien que cette victoire amène de nouvelles opportunités, mais c’est encore tout frais. J’ai quelques idées qui me feraient plaisir, je ne sais pas encore si je vais me lancer dedans, comme par exemple celle de produire un saké. Il y a une maison de saké qui va ouvrir en novembre sur le Bassin d’Arcachon, ce serait une opportunité sympa de faire un saké avec lui, s’il était d’accord. Pourquoi pas aussi faire plus de conseils pour les restaurants, plus de conférences, travailler avec d'autres magazines sur la promotion du saké...
LB : Si tu devais confier trois coups de cœur saké à nos lecteurs, ce serait...
CCG : Je suggérerais Zaku Impression M, un des sakés que j'ai présentés en finale, venu de la préfecture de Mie, où je me suis déjà rendue. Il y a aussi Fukucho Seafood, un saké à 13% d'alcool, frais et fruité, génial avec des huîtres. Un autre style qui fait également fureur, c'est le saké pétillant MIO, 300 mL, 5% d'alcool, un profil sucré-fruité, la petite bulle d'apéritif facile à boire et très sympa !

LB : Tu as évoqué des accords mets-saké. Le saké est-il apte à accompagner tout un repas ?
CCG : Oui, le saké japonais est un exhausteur de goût, qui titre en moyenne à 15 à 16% d'alcool. Il présente l’avantage de se marier avec tout ce qui va avec le vin - c’est par exemple une excellente alternative aux vins blancs secs de Bordeaux sur les huîtres -, mais aussi avec tout ce qui ne va pas avec le vin - comme par exemple la salade verte et le chèvre chaud, ou des mets amers comme les asperges -. Un saké méthode traditionnelle à température ambiante sera aussi merveilleux avec une omelette, par exemple truffée. Ce n’est pas un hasard si le saké se retrouve sur nombre de tables étoilées désormais. Comme le vin, le saké appelle la dégustation, la gastronomie, les échanges, le partage !
LB : Pour finir, pourrais-tu proposer à nos lecteurs 3 accords mets-saké à tester en vue des fêtes de fin d’année ?
CCG : Pour commencer, je préconiserais Dassai 45, un saké magnifique et très aromatique, avec des fruits de mer ou un caviar pas trop gras. Ensuite, sur une poularde avec des marrons et des haricots verts, je tendrais vers un saké en méthode traditionnelle, comme par exemple Uroko que je travaille depuis 2017. Sur le dessert enfin, une petite bulle légère, comme MIO, sera top, tout comme des sakés créés en méthode champenoise, à l’image de l’incroyable Shichiken x Alain Ducasse Sparkling Saké, qui sont très intéressantes et se marient bien sur des desserts plutôt fruités, pour éviter toute lourdeur.

La composition du jury du Saké Master 2025 :
★ Estelle Touzet - Sommelière et consultante, de Sakura Franck, Cheffe du restaurant Paris sous les cerisiers
★ Gwilherm de Cerval - Sommelier et journaliste gastronomique
★ Youlin Ly – Saké Samouraï
★ Key Miyagawa – Saké Samouraï